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Lovers’ Kiss

Lovers’ Kiss (ラヴァーズ・キス) est un manga de Akimi Yoshida en deux volumes, prépublié dans les numéros d’avril 1995 à février 1996 du Flowers de Shogakukan, peu après la fin de la série phare Banana Fish. Lovers’ Kiss, pour changer par rapport à Banana Fish, est un manga sentimental avec pour sujet l’adolescence. L’histoire se passe à Kamakura de nos jours (enfin, dans les années 90). Akimi Yoshida raconte ici non pas un triangle, mais un polygone amoureux passablement compliqué, le manga se faisant ainsi connaître des amateurs et amatrices de boys love ou yuri.

Lovers’ Kiss est malheureusement inédit en France, mais gageons qu’avec le retour de Akimi Yoshida avec Kamakura Diary, un éditeur se penchera peut-être dessus. Surtout que les deux œuvres se déroulent dans le même univers et partagent des personnages en commun: Tomoaki Fujii en premier lieu (le petit ami de Yoshino), mais aussi les familles Ozaki (qui tient un commerce d’alcool) et Ogata (originaire d’Osaka) ainsi que Mikako, la collègue de Sachi. Notons aussi que les deux œuvres se déroulent au même moment, ce que j’ai compris en lisant le second opus de Kamakura Diary. Ceux qui lisent le chinois peuvent se tourner vers l’édition taïwanaise sortie chez Tong Li (dans la collection « Romance Fantasy » ha ha) sous le titre 情人的吻, trouvable en occasion uniquement, ou en scans ici. Enfin, il existe une adaptation filmique éponyme réalisée par Ataru Oika.

loversKiss

L’histoire se déroule un peu avant l’été, au même moment, avec trois narrateurs différents, chacun ayant leur point de vue sur les événements. Le manga se divise en 6 chapitres, et chaque partie fait 2 chapitres (trombi des personnages avec noms en kanji). La première partie, intitulée « Boy Meets Girl », se penche sur Rikako Kawana qui introduit le personnage de Tomoaki Fujii, playboy du lycée traînant une réputation peu flatteuse. Car le bougre est beau, grand, bien fichu, intelligent, séducteur, mais surtout, il est très riche, étant le fils unique des propriétaires d’une clinique spécialisée dans la gynécologie. Il se raconte que Tomoaki se plaît à draguer les filles, coucher avec et les faire avorter chez papa lorsque l’une d’elles ose tomber enceinte. Rikako, elle, est une lycéenne très belle qui ne parvient pas à dire ce qu’elle pense et se donne souvent des airs. Sa meilleure amie est Miki Ozaki, et n’apprécie pas Tomoaki.

Lovers' Kiss - Kawana Rikako Lovers' Kiss - Fujii Tomoaki

La deuxième partie, intitulée « Boy Meets Boy », se penche sur Takao Sagisawa, un garçon calme à lunettes qui fait du piano et participe au club d’athlétisme. Il se trouve qu’il connaissait Rikako pendant l’enfance, et Tomoaki était son senpai au club de basket au collège. Il pense d’ailleurs beaucoup à ce dernier. A côté de cela, un de ses kohai du club d’athlétisme, Atsushi Ogata, originaire d’Osaka, passe son temps à le coller.

Lovers' Kiss - Sagisawa Takao Lovers' Kiss - Ogata Atsushi

Enfin, la troisième partie s’intitule « Girl Meets Girl » et voit Eriko Kawana en narratrice. Celle-ci n’est autre que la petite sœur de Rikako, permettant d’entrevoir une relation difficile entre les deux sœurs, Eriko étant jalouse de Rikako, que ce soit pour les parents ou encore Miki Ozaki, amie de sa sœur mais dont elle convoite le cœur. Eriko est aussi la meilleure amie de Atsushi Ogata.

Lovers' Kiss - Kawana Eriko Lovers' Kiss - Ozaki Miki

Pour moi, Lovers’ Kiss fait facilement partie des meilleurs manga de Akimi Yoshida. Il a beau être court, son impact est là. Le ton est particulièrement intimiste, et se rapproche grandement de Sakura No Sono en plus mature. Le manga est sérieux, mais les pointes d’humour cochon comme on les aime chez Yoshida ne manquent pas. Il s’agit d’une chronique adolescente dont l’ambiance calme au bord de mer se rapproche de Blue de Kiriko Nananan ou de Diamonds d’Erica Sakurazawa pour ce qui est de sa tonalité. Ceux et celles qui ont lu Banana Fish savent à quel point Akimi Yoshida est capable de rendre ses personnages intéressants, et lorsque j’ai entendu parler de Lovers’ Kiss, et en voyant ses couvertures, j’ai tout de suite eu envie de le lire. Habituellement, les histoires de cœurs ne sont pas ma tasse de thé, loin de là. Mais en grande fan des moments calmes de Banana Fish, avec le décor quotidien, la chronique adolescence dans une ville aux bords de mer, des histoires d’amours diverses, il fallait que je m’essaie. Et puis le dessin de Akimi Yoshida, reconnaissable parmi tant d’autres, les planches si sobres mais au découpage si précis, si réussi, livrant les personnages et leurs sentiments.

Réédition bunko en 1 volume
Réédition bunko en 1 volume

La narration est introspective, et le personnage livre son point de vue des événements, ses pensées, ses sentiments. Cette manière d’avoir trois points de vue différents confère une originalité à l’histoire, le lecteur pouvant donc voir une même scène sous un angle différent, puisque tous les chapitres se passent aux mêmes moments. Les relations entre les personnages sont incroyablement intéressantes, il se révèle finalement que de nombreux personnages se connaissent, ou étaient amis pendant l’enfance. Des questions se posent alors, « Depuis quand Takao est-il devenu Sagasawa? », alors que Rikako était si proche de lui dans le passé. L’adolescence éloigne les amis ou même les sœurs. Les relations amoureuses proposent aussi pas mal de choix: une histoire entre Rikako et Tomoaki, hétéro, qu’on peut croire classique mais qui cache bien des secrets, le triangle amoureux exclusivement masculin Tomoaki/Takao/Atsushi, ou encore le triangle amoureux féminin Rikako/Miki/Eriko. Comme souvent avec Yoshida, le tout est mature et la sexualité est présente, sans détour.

A côté de tout ça, il y a les relations de jalousie, de rivalité, les démons liés au passé mais aussi un thème que Akimi Yoshida aime beaucoup: la réputation. Dans Sakura No Sono déjà, une des héroïnes était accusée de se prostituer, parce qu’elle traînait une sale réputation, dans Kisshô Tennyo, un des héros avait une réputation de playboy. Tomoaki est le beau gosse de la série, il a un design proche de celui de Ash, et il se révèle tout aussi intéressant. Chaque personnage renferme donc des blessures, que ce soit Rikako, Tomoaki, Miki, Eriko ou encore Takao. Le malaise adolescent y est particulièrement bien dépeint, avec beaucoup de pudeur et de sobriété, sans pathos ni complaisance. Le thème du suicide est aussi présent.

Même si ce manga s’est fait connaître auprès des fans de yuri et boys love pour son polygone amoureux, le tout est traité de manière normale, sans racolage ni fan service comme on peut en voir tant aujourd’hui. Les relations, qu’elles soient hétérosexuelles ou homosexuelles sont toutes traitées à la même enseigne. Enfin, on peut voir des adolescents qui se recherchent, qui se sentent parfois un peu paumés, qui ont un réel besoin de faire un point avec eux-mêmes. Est également abordée la question de l’amitié homme-femme, notamment au travers des personnages de Eriko et Atsushi, et des rumeurs doivent bien naître au lycée entre les deux. Quelque part, voir une fille et un garçon avoir une telle relation de proximité et de confiance sans arrière-pensée me fait encore espérer qu’on peut voir des personnes du sexe opposé sans voir en eux ou en elles des potentielles proies sexuelles.

Le dessin de Yoshida est particulièrement sobre sur cette œuvre, très brute. Pourtant, la fin de Banana Fish était très esthétique déjà. Mais il semble qu’ici, elle a voulu offrir quelque chose d’encore plus sobre. D’ailleurs, avec son évolution graphique actuelle, j’ai failli ne pas reconnaître Tomoaki Fuji dans Kamakura Diary, qui l’a fait grandement rajeunir, mais j’étais persuadée que ce nom, le surf, et cette tête de beau gosse, dans la même ville, ce ne pouvait être le fruit du hasard! Les planches sont sobres, donc avec peu de décors, mais j’adore les moments dans lesquels on voit la mer, l’ambiance y est calme, un peu mélancolique. Et puis il y a ce découpage de l’action, très lent, et surtout, très estival, avec une tonalité proche de Next Stop de Atsushi Kamijô. J’aime beaucoup aussi les œuvres où l’été forme une période de réflexion, de changement chez les adolescents (ou les enfants).

Lovers’ Kiss est pour moi une excellente chronique sur l’adolescence, et une des plus grandes réussites de Akimi Yoshida. L’histoire en deux volumes est complète, et pas besoin d’en faire plus. Si je n’avais pas découvert Banana Fish bien avant, je dirais que c’est mon manga préféré de l’auteure. Il fait partie des indispensables aux côtés de Banana Fish, Yasha et Kisshô Tennyo qui revêt une importance particulière dans la carrière de Yoshida. Dans le petit mot du volume 2, Yoshida dit qu’elle est née à Tokyo, mais que c’est à Kamakura où elle a vécu plusieurs années qu’elle y a passé les meilleurs moments de sa vie (qu’elle raconte dans le volume 4 de Kisshô Tennyo). Elle espérait donc, en 1996, retrouver la possibilité de réécrire un manga ayant pour décor cette ville. Et c’est ainsi qu’est né Kamakura Diary en 2006, dans les pages du même magazine de prépublication. Enfin, les fans de Banana Fish pourront se réjouir de voir, le temps d’une case, Ash et Eiji en cameo. Et je dois dire que je suis super contente pour eux de les voir ainsi rire aussi joyeusement. Akimi Yoshida semble décidément aimer la littérature: entre le titre de Banana Fish lui-même, les références à Ernest Hemingway dans ce même manga, ou encore les extraits de poèmes de Verlaine ou Rimbaud à chaque titre de chapitre (et en français en plus)…

16 réflexions au sujet de “Lovers’ Kiss”

  1. Hello, Je suis tombé sur ce blog en fouinant des trucs sur dorohedoro. Je ne suis pas très callé en Shojo ni en yaoi (Faut dire je suis un mec, hétéro, de 23 ans), mais je vois que tu ne parles pas des manga de Toume Kei, qui est une des seules mangaka dont les productions sont disons orientés pour une lecture féminine que je lis. Pertinence dans les rapports entre les gens, ambiance particulière, des beaux dessins, si tu ne connais pas cette artiste je te conseille de commencer par Acony. Elle a fait pas mal de trucs, et tout n’est pas bien, mais quant on a rien à lire c’est sympa.

    1. Ah mais si j’en lis du Kei Toume ^^ . Mais ça fait un tel paquet d’années, que je ne peux écrire dessus maintenant… Et puis j’ai tellement de mal à écrire quelque chose aussi :). Vive Dorohedoro ^^ !!!! Mais Kei Toume, ce n’est même pas orienté féminin, pas du tout même. Surtout son Sing Yesterday For Me je trouve. Ma série préférée de Toume est Les lamentations de l’agneau. Je sais ses défauts, mais je n’y peux rien, son ambiance unique. Sing Yesterday, j’adore les 3 premiers tomes mais il y a un petit changement d’ambiance (mélancolie moins ambiante?) à partir du 4ème, ce qui m’a moins plu. Zero et Déviances, j’ai trouvé ça moyen. Kurogane aussi. Quant aux Mystères de Taisho, y’avait plein d’ingrédients que j’aurais dû aimer et le volume 1 n’a pas pris, mais je retenterai une lecture un jour. Luno était anecdotique sinon 😦 . Merci de ton commentaire :).

  2. Tu vois que les mots arrivent à sortir ^^. En ce moment il semblent même débouler directement de ton cerveau vers tes doigts.
    Dans le cas de cette chronique c’est pour mon plus grand bonheur / malheur.
    Tu as ici réussi ici il me semble à trouver les mots justes pour me donner une furieuse curiosité de découvrir ce manga. S’il était édite, avec 2 volumes je ne n’irai pas voir ailleurs et je me jetterai dessus. Rien que t’avoir lue m’a presque transporté.
    En fait, avec Banana Fish et Yasha en tête, j’ai l’impression que Kamakura Diary est un des rares manga de Akimi Yoshida ne me faisant pas envie (mais.. pourquoi les éditeurs sont-ils méchants ?). Et j’ai pourtant une culture plutôt nulle en Shojo, Yaoi ou autres choses du style (même si, après la récente manœuvre sur la blogosphère concernant le Shojo, j’ai l’impression qu’on ne peut pas en fait vraiment parler de style).
    Merci de faire partager tes coups de cœur 🙂 .

    1. Merci pour ton commentaire!!!
      Kamakura Diary, faut vraiment l’essayer. Mais c’est sûr qu’au niveau du style d’histoire, de l’ambiance, ce n’est pas pareil que ses autres manga. C’est beaucoup plus léger et lumineux, de la tranche de vie qui met de bonne humeur, la vie quoi. Malgré tout, il y a des thèmes graves abordés mais le tout de manière pudique et jamais sans pathos. Kamakura Diary, c’est les tracas du quotidien, les petits bonheurs, le tout par une auteure qui sait parler à un public adulte je dirais. Après, si tu n’aimes pas ce type de récit, je comprends.
      Il y a l’événement interbloggueurs du Club Shôjo: http://club-shojo.com/46347/semaine-shojo-lancement/ . Je dirais qu’il y a quand même un petit quelque chose qui rassemble tout ce bazar, avant je le cherchais puis en y réfléchissant… De mon point de vue et de mon ressenti, un certain type de dessin plus « léger » dans le sens pas trop précis, qui permet d’avoir un grand écho avec mon imagination. Un découpage étrange aussi, qui me donne l’impression, par moment, d’être en plein rêve ou de juste me réveiller?. Le trait n’est pas « fermé », et permet, je pense, à mon imagination d’effectuer comme des « raccords », ce sont des mécanismes très durs à mettre en mots, mais en y réfléchissant, je pense beaucoup à ça. C’est moins vrai pour les manga récents, surtout ceux dessinés de manière super précises, comme si ils étaient prêts à être adaptés… Tout ceci n’est pas une analyse, je le répète, mais un ressenti très personnel.

  3. D’après la description que tu en fais, j’ai l’impression que tu accordes une approche plus littéraire à genre, alors que celle d’un seinen, par exemple, au dessin plus précis et aux dessins plus détaillés serait plus cinématographique.

    1. C’est possible ^^ . Après j’ai des goûts très différents… Autant j’adore les envolées fantastiques ou SF dans les manga, ou encore l’aventure, autant en littérature, j’adore les trucs plus terre à terre genre on parle du quotidien, de la jeunesse, de l’enfance -__- . Mais je suis assez schizo je m’en rends compte petit à petit, car au lieu de lire du seinen (pas toujours hein) trash, je vais me tourner vers du comics un poil trash dans son humour par ex. Et en manga, je lis des trucs dessinés par des femmes souvent xD. Bref… Et en film aussi, je n’aime pas voir des trucs avec des super héros, des trucs typés « geek » j’ai envie de voir autre chose que mes lectures aussi xD.

  4. Moi qui ne suis pas très porté romance, tu me donne envie avec cet article ! Je vais chercher si je trouve pas des scan en anglais (parce que en chinois… je vais rien comprendre)
    Graphiquement en revanche, je ne trouve ça pas très attraillant

    1. Je n’ai jamais vu de scans de cette courte série en anglais mais on ne sait jamais! Le graphisme rebute souvent au début, Banana Fish par exemple, je l’ai lu parce qu’à sa sortie, je l’ai trouvé si moche qu’il fallait que je le lise (puis y’avait le côté pages jaunes qui était très drôle!). Mais par la richesse et la profondeur de l’histoire et des personnages, on finit par adhérer. J’aime beaucoup justement ce dessin très simple, archi-sobre, pas fleuri, mais qui garde un certain impact surtout dans l’émotion justement… Ce n’est pas très orienté romance, j’ai l’impression que tout ceci n’est qu’un prétexte pour parler des ado ^^ . Dans son titre récent, Kamakura Diary, le trait est beaucoup moins austère, plus joli, plus rond, plus facile 🙂 . Elle a fait de sacrés progrès. Mais j’aime beaucoup ce style archi-austère perso.

  5. J’ai trooooooooop hâte de le lire !! Par contre, la couv de la réédition est un peu moins évocatrice.
    (Et squatteuse, avec ça)
    Et je suis d’accord avec Inico : tu écris super bien et suscites des envies de lecture 🙂 (Je te rajoute pas dans les blogs que je suis car tu es déjà dans mon agrégateur de flux RSS)

    1. J’espère que tu aimeras autant que moi… Y’a des chances je pense. Et fais moi signe si tu veux (re)lire Yasha un jour! Tu avais aimé Sakura No Sono? Pas tout si je me souviens. Mais il y a eu pas mal de progrès depuis celui-là, on est dans une ambiance relativement proche (je trouve que ça réussit beaucoup à Yoshida d’ailleurs). Merci Shermane mais c’est vrai j’ai toujours du mal à écrire quelque chose de structuré.

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