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LoveStar (Andri Snaer Magnason)

J’ai découvert LoveStar en lisant un numéro de la revue Bifrost consacré à Ursula K. Le Guin. La chronique m’avait vraiment tapé dans l’œil et j’ai fini par l’offrir à un proche pour son anniversaire. LoveStar est un roman islandais, sorti au début chez Le Serpent à plumes puis ensuite dans la collection SF de J’ai Lu. C’est effectivement le côté nordique, humoristique mais aussi et surtout la technologie décrite, permettant d’être tout le temps connecté et les humains inféodés à celle-ci, pour tous les pans de la vie, qui m’ont parlé. Notons que le roman a été écrit en 2002, donc bien avant que tout le monde ait le wifi, bien avant que les forfaits ADSL illimités existent, bien avant Facebook et l’ère des réseaux sociaux, et bien avant l’ère du smartphone.

lovestar

Le roman suit en fait deux histoires, qui s’entremêlent. La première concerne un couple amoureux et heureux, un couple qui nage sur un nuage de bonheur (si ce n’est pas plus), Indridi et Sigridur. Le couple n’a pas encore été calculé par InLove mais il est persuadé qu’ils seront calculés ensemble, qu’ils sont destinés l’un à l’autre. Quelle surprise lorsqu’ils apprennent que la moitié de Sigridur se trouve en fait au Danemark! L’autre trame narrative suit LoveStar, le génial créateur à la tête de la société (tentaculaire) Istar, ayant rendu possible ce monde d’hommes sans fil, ayant rendu ce monde meilleur grâce à ReGret, LoveMort et surtout InLove.

Le roman est particulier mais j’ai immédiatement accroché à ce ton drôle et surtout très caustique. Le couple est évidemment agaçant et niais comme pas possible, les rendant absolument hilarants. La description de la société suite à la révolution non numérique mais plutôt la révolution ondulatoire est grotesque et prête évidemment à sourire. Les hommes ne sont plus vraiment connectés, ce sont des hommes sans fil: LoveStar, s’inspirant des ondes émises par les oiseaux migrateurs, s’en sert ainsi pour connecter les humains entre eux. La description faite des aboyeurs ou encore Simon l’infiltré m’ont ainsi beaucoup fait rire. Imaginez qu’une personne que vous pensez être votre ami est en réalité juste là pour vous pousser à consommer tel ou tel produit? Les humains sont ainsi prêts à céder des zones langagières de leur cerveau pour le bien d’une entreprise… Le livre, lorsqu’il reste près des personnes lambda, est complètement dingue et absurde, totalement fou! Et c’est ce ton absurde qui fait tout le sel du roman, l’absurdité même de cette consommation à outrance où les relations humaines authentiques n’existent quasiment plus.

LoveMort est une autre incarnation de cette critique du monde moderne où tout est propre, tout est clinique, une société dans laquelle on ne veut ni voir la mort ni voir ses vieux. LoveMort, ou comment on a rendu la mort (l’euthanasie ou plutôt le meurtre-même) fun. Oui, tout y est fun dans cette société. La mort n’existe plus, plus de retour à la terre, plus rien. On transforme le tout en show et fissa! Le tout donne une drôle de société. Plus tôt dans le roman, on parle aussi d’enfants qu’on peut rembobiner s’il n’adopte pas le comportement voulu. Il y a un côté évidemment aseptisé de nos sociétés contemporaines qui est décrit ici avec beaucoup de folie. Notons aussi que le roman parle d’UNE entreprise tentaculaire du nom de Istar, qui occupe TOUS les pans de la vie humaine. Cela rappelle la fameuse centralisation informatique contre laquelle lutte des associations telles que Framasoft.

La trame entourant LoveStar est, à mes yeux, le maillon faible du roman. Le personnage est très peu sympathique, mais c’est aussi celui dans lequel on entre le plus tout au long du roman. Un homme dévoré par ses idées, drogué par celle-ci, laissant de côté son humanité et sa vie personnelle. A tel point que ses idées sont purement empreintes de technique sans éthique ni questions sociétales voire sociales, chose souvent reprochée aujourd’hui à la Silicon Valley et son fameux solutionnisme.

L’autre gros point faible vient de la fin du roman. La fin est longue, un peu trop explosive, le roman va dans tous les sens et j’ai trouvé ce final pas terrible. Il y a un peu ce sentiment de « tout ça pour ça? » qui m’a animé, mais surtout, les 80 (voire 100?) dernières pages m’ont vraiment peu intéressée. La folie des hommes aura raison des hommes. Mais toutes ces dernières pages m’ont paru durer une éternité (L’apocalypse a lieu et notre couple amoureux devient Adam et Eve). En fait, je dirais que le livre est original, mais sa dinguerie permanente fait aussi partie de ses excès. C’est donc avec une petite déception que le tout se termine, alors que le reste m’a vraiment amusée. Un roman assez unique en son genre (enfin, de mon point de vue, j’ai assez peu de culture littéraire en vrai).

J’ai beaucoup aimé le passage où Magnason en profite pour se moquer des Danois et de leur langue sinon (puis toute la subtilité de ce personnage).

Un aperçu de la niaiserie de notre couple d’amoureux préféré:

A l’époque où la vie d’Indridi et de Sigridur n’était que douceur, ils se réveillaient au soleil du matin, comme collés l’un à l’autre par du miel[…]. Leurs paumes étaient plaquées l’une contre l’autre, le corps blotti et les jambes emmêlées en une tresse si serrée qu’on pouvait à peine distinguer auquel des deux chacune appartenait.

Ils devaient travailler comme tout le monde et, après avoir fait, l’amour sur le sol de la cuisine, en attendant que l’eau de la bouilloire soit chaude[…]. En un effort conjoint, ils parvenaient à s’habiller et à séparer leurs lèvres assez longtemps pour avaler leur petit déjeuner sans cesser de se toucher. Ensuite, ils se regardaient longuement dans les yeux comme pour se dire: Au revoir, et à midi!

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La Nuit des temps (René Barjavel) (SPOILERS)

Je préviens d’emblée. Cet billet n’est aucunement ce qu’on appelle une chronique ou une critique. J’ai lu très récemment La Nuit des temps de Barjavel et il fallait que ça sorte. C’est donc plutôt un billet coup de gueule. Surtout ne pas lire ces lignes si vous avez envie un jour de vous lancer dans La Nuit des temps. De nature, je suis plutôt une personne qui aime beaucoup râler. Je sais que ce qui prédomine est plutôt la pensée « positive » (parler de ce que l’on aime) dans la blogosphère, mais j’ai souvent besoin « d’en parler » comme on dit, lorsque l’agacement est monté suffisamment haut.

Alors pourquoi ai-je été au bout de ma lecture? Je ne sais pas. Probablement parce que j’ai souvent envie de terminer une histoire (d’où mes mangasochismes, je ne sais pas lâcher l’affaire), mais surtout parce que dans les bons points, le livre est vraiment facile à lire. C’est fluide, il n’y a vraiment aucune difficulté dans le style de Barjavel. Ça se lit donc très bien et très vite.

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Pour le topo, La Nuit des temps est un roman de SF français écrit peu avant 1968. Au départ, le roman était le scénario d’un film devant être réalisé par André Cayette, un gros film avec un gros budget qui aurait dû être notre 2001: L’Odyssée de l’espace national. Finalement, le film n’a jamais vu le jour et Barjavel transforma son scénario en roman. Le roman est devenu tellement culte qu’il est même lu au collège (ça n’a pas été mon cas). J’en avais beaucoup entendu parler et il figurait dans les romans que je voulais lire un jour. L’ayant reçu pour mes 35 ans (en 2017…) l’occasion s’est pour ainsi dire présentée.

La Nuit des temps débute par une expédition française en Antarctique. Les scientifiques découvrent qu’un faible signal est envoyé par-dessous la glace, laissant donc penser à une trace de civilisation. La découverte est énorme: deux humains (un homme et une femme) en état d’hibernation provenant d’il y a 900 000 ans, et dont la civilisation a l’air bien plus avancée que la notre. L’expédition devient ainsi internationale, et ce malgré la Guerre Froide menaçant de faire péter notre belle planète (en fait, pas besoin de guerre car nous la pétons à petit feu en ce moment-même…). Au cours de l’histoire, Eléa est réanimée et on apprend par elle à quoi ressemblait la société de Gondawa. Simon, un médecin (et le point de vue à travers lequel l’histoire est racontée) tombe éperdument amoureux d’Eléa.

Le tout démarrait pourtant bien avec une expédition en Antarctique, et puis un côté international. Le côté soixante-huitard est évidemment renforcé avec cette coalition de scientifiques unis malgré les tensions politiques de leurs pays respectifs. Première chose à dire: il y a BEAUCOUP de personnages, car Barjavel met en avant le fait que chacun ne vient pas du même pays. Les personnage sont à peine présentés, la plupart du temps, je ne sais même plus qui est spécialisé dans quoi. Cela rend les personnages hyper creux et clichés, les réduisant surtout à: lui c’est l’Américain (Hoover), elle la Russe (Léonova), lui le Japonais (qui s’appelle Ho-Toï, mais c’est QUOI ce nom?), le Turc (Lukos, d’ailleurs c’est plutôt un nom grec non?), Shanga est Africain (oui, c’est tout) et ainsi de suite. La vision des personnes venant de chaque pays est évidemment cliché. Hoover est un gros porc très lourd avec les femmes, Léonova est une belle femme brune et toute mince (il y a bien d’autres femmes dans le tas de scientifiques mais on ne parlera que d’elle, au moins je sais qu’elle est anthropologue)… et puis il y a les Français. On sent le côté scénario d’un film: dans un film on peut montrer des personnages secondaires en masse, sans les présenter. Mais dans un roman, ça passe un peu mal. Dans le cas présent, j’ai trouvé les personnages vraiment creux, pas humains, j’ai eu beaucoup de mal pour ça.

Le point qui m’a évidemment le plus agacée est le sexisme (probablement involontaire de la part de Barjavel). Alors là, c’est un festival de clichés. L’anthropologue russe est uniquement décrite à travers sa beauté. On ne saura jamais grand chose à propos de son intelligence ni de son travail: elle est anthropologue, mais je ne sais même plus si elle apporte quelque chose à l’équipe à travers son SAVOIR et ses COMPÉTENCES. Chaque fois qu’on la voit c’est pour des scènes de drague lourde avec Hoover (l’Américain). En fait, quand un homme se comporte ainsi avec une femme, c’est parce qu’il l’aime. J’ai presque envie de parler de harcèlement. Le pire dans l’affaire est qu’elle finit évidemment avec à la fin de l’histoire. En fait, elle est là uniquement en tant que « love interest » symbolique (c’est beau l’amour entre un Américain et une Soviétique) et j’ai plus d’une fois levé les yeux au ciel.

– « Il », quoi « il »? Quel est ce métal? demanda Léonova énervée.

Hoover était un géant roux ventru et débonnaire, aux mouvements lents. Léonova était mince et brune, nerveuse. C’était la plus jolie femme de l’expédition. Hoover la regarda en souriant.

– Quoi! Vous ne l’avez pas reconnu? Vous, une femme?… C’est de l’or!…

Côté sexisme, Léonova n’était pas le pire, hélas. Le tout commençait bien avec l’expédition (quoique le TOUT début du livre, avec les lamentations de Simon – les chapitres en italiques – auguraient du pire), jusqu’au réveil de Eléa. Et là, c’est le drame comme on dit. Car Eléa est juste la PERFECTION de la tête au bout des ongles de pieds. C’est simple, on ne saura qu’une chose d’elle: Eléa est BELLE. Il faut dire que les descriptions physiques l’accompagneront quasiment à chaque apparition car nous suivons l’histoire (hélas) des yeux de Simon, l’amoureux éperdu. Le pire dans tout cela, c’est qu’on ne saura jamais vraiment pourquoi il est amoureux, du moins si: elle est BELLE, car il ne la connaît même pas à ce moment-là (plus tard si, lorsqu’elle lui montre ce qu’elle a vécu). Vous avez bien lu, une femme se résume donc à son physique! L’autre point qui la rend si séduisante est évidemment sa tristesse. Elle inspire une forme de compassion. De plus, elle est seule dans cette civilisation inconnue, arrachée à son époque, et n’a comme soutien moral que Simon. Ce personnage d’Eléa est tellement parfait qu’il ne suscite rien, au pire (dans mon cas) un agacement. Je crois que dés son réveil, j’ai eu encore plus de mal avec ce roman et que mes yeux se levant vers le ciel se sont faits de plus en plus fréquents! Quasiment chaque fois que Barjavel parlera d’elle, il y aura toujours une allusion à un oiseau ou à une fleur. Le champ lexical m’a achevée. Avant le réveil d’Eléa, il y a tout un passage avec les arguments des uns et des autres pour le choix de réveiller la femme ou bien l’homme. Certains arguments pèsent leur pesant de cacahuètes: l’homme a un cerveau plus lourd donc plus intelligent (souvent un argument venant d’un scientifique d’un pays du tiers-monde), la femme est plus belle et les femmes d’abord (le côté gentleman des pays dits développés…). Dans la civilisation Gonda, les femmes et les hommes ont chacun leur propre langue (on croirait que les femmes viennent de Vénus et les hommes de Mars, mais en fait, ce sont les Africains qui viennent de Mars dans ce roman…).

[…] On l’avait laissée nue. Son buste amaigri, ses seins légers tournés vers le ciel étaient d’une beauté presque spirituelle, naturelle.

Gros plan du visage d’Eléa. De ses yeux. Lanson ne pouvait s’en détacher. Toujours l’une ou l’autre de ses caméras obéissant à ses impulsions à demi inconscientes, revenait se fixer sur l’insondable nuit de ses yeux d’outre-temps.[…]

La main d’Eléa se posa au sommet de la sphère. Simon la guida comme un oiseau[…].

En hurlant le nom, elle se dressa sur son lit, nue, sauvage, superbe, tendue comme une bête chassée à mort.

[Dans la famille Vignont qui suit l’expédition à la TV:] Il n’en dit pas plus. Il pense à Eléa toute nue. Il en rêve la nuit, et quand il ne dort pas, c’est pire.

La dernière image qu’il reçut fut celle de la main d’Eléa, belle comme une fleur, ouverte comme un oiseau, […]

Les scènes d’amour ou de sexe sont hyper lyriques, cliché. Clairement, le sommet est atteint ici, lorsque Eléa et Païkan font l’amour. Je crois que ça se passe de commentaires. Le couple « tragique » formé par Eléa et Païkan est juste agaçant aussi. Elle est belle, il est beau, puis c’est un peu tout (ah si! ils ont été calculés par l’ordinateur c’est vrai). Côté personnages creux, on est en plein dedans. Les étreintes sont vues comme une conquête, avec le vocabulaire habituel d’une bataille. Évidemment, elle est une femme, donc pleine de secrets, forcément! Quant au twist final sur l’histoire d’amour tragique, j’ignorais les inspirations de ce roman et pourtant, ce final se devine très vite (donc pas de surprise de mon côté, donc pas marquée par cette révélation!!!! Je crois que le genre amour tragique, ça m’énerve plus qu’autre chose, mais là ce n’est plus du tout la faute de Barjavel). Enfin, l’histoire d’amouuuuur belle et tragique est surtout très niaise!

Païkan leva les bras et se laissa glisser derrière elle. Elle s’appuya à lui, flottante, légère. Il la serra contre son ventre, prit son élan vers le haut et son désir dressé la pénétra. Ils reparurent à la surface comme un seul corps. Il était derrière elle et il était en elle, elle était blottie et appuyée contre lui, il la pressait d’un bras contre sa poitrine, il la coucha avec lui sur le côté et du bras gauche se mit à tirer sur l’eau. Chaque traction le poussait en elle, les poussait tous les deux vers la grève de sable. Eléa était passive comme une épave chaude. Ils arrivèrent au bord et se posèrent, à demi hors de l’eau. Elle sentit son épaule et sa hanche s’enfoncer dans le sable. Elle sentait Païkan au-dedans et au-dehors de son corps. Il la tenait cernée, enfermée, assiégée, il était entré comme le conquérant souhaité devant lequel s’ouvrent la porte extérieure et les portes profondes. Et il parcourait lentement, doucement, longuement, tous ses secrets.

Le mode de sélection, à l’aube de l’Apocalypse, du dernier homme et de la dernière femme à hiberner vaut aussi son pesant de cacahuètes. Ainsi, la civilisation est tellement avancée qu’un ordinateur va donner 5 noms de femmes à Coban sur les critères suivants: les femmes les plus belles et les plus intelligentes (là, on n’en aura la preuve que sur la toute fin quand on comprend qu’Eléa, en quelques jours, avait déjà compris le français et se met à parler  à Simon dans cette langue…). La N°1 étant enceinte, elle est directement disqualifiée, mais la seconde dans cet ordre-là est Eléa. Le critère pour les hommes sera évidemment l’intelligence mais aussi la CONNAISSANCE!!!! Et c’est pourquoi Coban se sélectionne lui-même, séparant Eléa de son bien-aimé Païkan dont le point faible est le manque de connaissances (selon Coban). Alors que ce soit bien clair: dans cette civilisation avancée donc, personne ne s’est dit qu’Eléa, séparée de son bien-aimé calculé par un ordinateur à ses sept ans, n’aura peut-être plus la volonté de vivre si elle se réveille un jour après le passage de l’Apocalypse, et encore moins la volonté de copuler avec Coban? Non, vraiment…

Quant au monde même d’il y a 900 000 ans, il ressemble évidemment au notre à l’époque de l’écriture du livre pour ce qui est de la géopolitique et des conflits. Il s’agit d’un monde avec deux grandes puissances mondiales (Gondowa d’un côté, Enisoraï de l’autre), en guerre, risquant de péter à tout moment, sonnant le glas de l’humanité, à travers les bombes « terrestres » (ou l’arme atomique). Notons que les habitants d’Enisoraï ressemblent physiquement à des Asiatiques, qu’ils sont en nombre TRES supérieur aux Gondas (ils viendraient d’atteindre le milliard à ce moment-là!), que ces derniers surveillent leur manière de se multiplier. Evidemment, l’Apocalypse a lieu et il ne faut surtout pas que nous répétions l’Histoire. J’ai trouvé le parallèle pas très subtil en fait, ni le message « faites l’amour pas la guerre », très ancré dans son époque. Côté progrès scientifiques, ceux-ci sont bien plus avancés que nous, le tout paraît même idyllique. Heureusement, beaucoup plus tard, on voit des citoyens bien moins lotis, nous suivions surtout les privilégiés de ce monde.

Je voulais aussi parler un peu du personnage principal, le Dr Simon. Il tombe éperdument amoureux de Eléa et ses monologues, en italiques, reflètent son état mental. Ce personnage de « gentil » m’a aussi agacée. C’est simplement le « gentil », le prétendant, le « gentil con » comme diraient certains, car l’objet de son amour est déjà promise à quelqu’un d’autre. A part sa gentillesse, on ne saura pas grand chose de lui non plus! Ah, si, son amour immédiat pour Eléa (on se croirait dans le générique de Jeanne et Serge!!!)

Petit morceau choisi pour le côté raciste (car le roman en est truffé, et encore une fois, je suppose que c’est involontaire):

Mais Hoover se méfiait. Il leva le genou et tendit sa botte à Shanga [un personnage africain] avec l’aisance donnée par vingt générations d’esclavagistes.

– Tire ma botte, petit.

Shanga eut un sursaut et recula. Léonova devint furieuse.

– C’est pas le moment de se sentir nègre! cria-t-elle

Au lendemain de cette lecture m’ayant suffisamment agacée, j’ai entendu le dialogue suivant provenant d’un bureau voisin au travail (au début, Elle parlait de son amie qui transportait 10Kg de maquillage, je ne sais pas si c’est vrai, ayant transporté 8Kg de manga pour un vol Hong Kong > Paris, dans un sac assez conséquent, faut le dire, alors se palucher 10Kg de maquillage tous les jours dans un sac que je suppose à main, il y a du défi dans l’air… mais passons):

Lui: « Mais si elle se maquille il y a bien une raison non? c’est pour se faire remarquer » (des hommes je suppose)

Elle: « Mais non il n’y a PAS de raisons!!! C’est dans la nature de la femme de vouloir être belle et se maquiller »

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2014, et c’est pas fini!

[EDIT 2018] Il s’agit d’un vieux post que je n’ai jamais terminé en 2015 et qui contient des pavés (c’est la suite du post intitulé 2014)… si cela peut intéresser quelqu’un je le publie ainsi, sans y retoucher!

Je continue (enfin, je tente) ce défi idiot de listing de lectures commencé ici (à vos risques et périls). Je ne me leurre plus, chacun n’aura malheureusement pas de billets, et je tente de réparer tout ça vu que je lis pas mal de choses inédites (on ne sait jamais, ça renseignera peut-être quelqu’un…). Bref, voici pèle-mêle la suite, encore plus bordélique que le billet précédent. Si vous n’êtes pas mort, alors bravo!! Ou bien je soupçonne un ennui mortel au bureau et je vous souhaite d’avoir un écran hors de portée de votre patron-ne.

hanaotokoHanaotoko (花男) de Taiyou Matsumoto, série terminée en 3 volumes, issue du Big Comic Spirits (seinen, Shogakukan). Ça fait presque 10 ans que j’ai découvert Taiyou Matsumoto. A l’époque, Amer Béton n’était plus disponible et j’ai dû me payer les trois volumes sur ebay. J’ai longtemps espéré voir chez nous Hanaotoko, une des vieilles séries inédites de Matsumoto qui l’est encore aujourd’hui. J’ai fini par baisser les bras, en achetant l’édition hongkongaise (officielle, chez JD Comics) en 2012. Hanaotoko est disponible en scantrad en anglais, donc facilement compréhensible, mais ma flemme de l’écran est plus forte que ma flemme des idéogrammes. J’ai longtemps redouté de lire du Matsumoto en chinois (entre Amer Béton, Gogo Monster et Number 5, il y a de quoi être effrayée) et j’ai été surprise de voir que Hanaotoko  était relativement facile à lire. On retrouve là le Matsumoto de l’époque Amer Béton alors que j’essayais de guérir de ma semi-déception du Samouraï Bambou, et le voyage ne déçoit pas. On retrouve toute l’audace graphique de Matsumoto, avec son trait tremblant, ses effets fish-eye ou encore ses éléments incongrus dans le décors, tels les animaux. L’histoire est touchante, racontant la relation entre un garçon premier de la classe et son père, une espèce de grand enfant immature croyant encore au rêve de devenir un jour joueur de baseball professionnel. On retrouve encore une fois un mystérieux chauve, ce qui n’est jamais bon signe quand on lit Matsumoto!!! Un de mes Matsumoto préférés.

zero_matsumotoZERO de Taiyou Matsumoto, série terminée en 2 volumes, issue du Big Comic Spirits (seinen, Shogakukan). Encore une autre vieille série de Matsumoto datant d’avant Amer Béton, et toujours inédite en France. Si à l’époque de mon achat, celle-ci n’était pas disponible en scantrad, elle a été depuis traduite dans sa totalité. J’ai acheté les 2 volumes en chinois, sur Yahoo! Auction (avec l’aide d’une cousine) et mes deux volumes ne sont pas de la même taille: l’un en format seinen, l’autre en grand format comme Sunny (JD Comics). Encore une fois, on retrouve donc le vieux dessin de Matsumoto, celui qui me plaît le plus dans son audace (pour ce qui est de la beauté, mon époque préféré est Gogo Monster et Number 5). Cette fois, Matsumoto prend le manga de sport à contrepied en faisant intervenir un vieux boxeur, Gosima, quadragénaire, qui est plus proche de la retraite que de ses débuts! Et Gosima est une machine à tuer, celui-ci étant sûrement le Zéro, celui qui est encore plus fort que le numéro 1. En parallèle, un jeune d’Amérique latine (je ne sais plus quel pays…) a réputation de tuer ses adversaires et Gosima voit là enfin un rival à sa taille. La narration de Matsumoto est comme souvent pleine de poésie, avec un Gosima qui aime particulièrement les fleurs. Le rythme est lent, avec l’entraîneur de Gosima qui s’exprime souvent, mais les phases de combat sont très nerveuses, avec les effets visuels de Matsumoto à la Ping Pong. Pas mon titre préféré mais un manga qui a beaucoup de force et de caractère!

yume_no_ishibumiYume no Ishibumi (夢の碑) de Toshie Kihara (木原敏江), série terminée en 20 volumes (tankôbon), issue du Petit Flower (shôjo, Shogakukan). 3 volumes lus en chinois. Voici une série qui aura plongé mon budget dans le rouge pour des mois en compagnie de Hi izuru tokoro no tenshi et que j’ai maudit après l’avoir découverte totalement par hasard. C’est par le biais d’une très belle illustration en couleurs que j’ai découvert Toshie Kihara (et sûrement le résultat d’une recherche sur Moto Hagio…). Surtout, j’ai craqué sur Yume no Ishibumi pour son univers plein de beaux kimono et de (je pensais) yôkai… Toshie Kihara est une shôjo mangaka faisant partie du Groupe de l’An 24, et Yume no Ishibumi semble être un manga culte des années 1980. Kihara est très connue pour sa série Mari to Shingo (摩利と新吾) comportant une histoire d’amour entre deux adolescents de sexe masculin. En réalité, sous la bannière Yume no Ishibumi se cache un ensemble d’histoires se déroulant dans diverses époques, plus ou moins courtes (de quelques chapitres à 5 volumes) et surtout, plus ou moins célèbres (les histoires avec deux hommes en particulier telles que Furenki ou Nue). En japonais, le découpage des volumes constitue un casse-tête, les bunko rassemblant les histoires par thème, très différent de l’édition tankôbon. Les volumes 1 et 2 rassemblent l’adaptation culte de Torikaebaya Monogatari (とりかへばや物語), un roman de l’ère Heian dans lequel un frère et une sœur échangent leurs rôles (d’ailleurs Chiho Satô l’adapte en ce moment). Dans l’adaptation de Kihara, l’histoire se passe pendant l’ère Edo et une jeune femme doit prendre la place de son frère malade, seigneur devant aller à la guerre. En même temps, l’héroïne est amoureuse d’un homme mystérieux aux cheveux blonds et aux yeux bleus, et ayant des pouvoirs surnaturels. Le volume 3 surprend car il rassemble des histoires se déroulant en Europe, et je suis servie alors que j’évite les « boucles blondes ». La première, intitulée Bernstein (ベルンシュタイン) se passe au XVIIIèmeyume_no_ishibumi_bernstein siècle dans l’Empire d’Autriche-Hongrie en conflit contre les Ottomans. L’héroïne, sœur du duc de Bernstein s’habille en homme (à l’instar de Oscar) et tombe sous le charme d’un roturier d’origine de Bohême. La seconde s’intitule Kira no rondo (煌のロンド) et se déroule dans les Alpes, près de la Suisse et de l’Autriche dans les années 60 avec des personnages français. Le tout mêle science-fiction et romance, car les héros parviennent, en allant dans un château, à rencontrer un officier Nazi gentil (oui, un gros WTF). Pour le moment, j’accroche aux dessins et à la narration efficace de Kihara, mais je suis moins emballée que je ne le pensais: il n’y a pas de yôkai et c’est en réalité très romantique, avec des personnages féminins souvent rongés par la jalousie!!! J’ai donc dû découper la série pour la lire plus facilement. Les dessins de Kihara sont une merveille pour les yeux, en particulier les double-pages. J’essaierai d’écrire un vrai billet sur cette série un jour. A noter qu’on retrouve dans les pages publicitaires Asakiyumemishi (あさきゆめみし 源氏物語), adaptation du Dit de Genji par Waki Yamato (大和和紀), autre shôjo culte des années 80… que j’hésite à commencer pour son ambiance trop romantique (mais j’ai du mal à résister aux kimono…).

terremerTerremer de Ursula Le Guin, saga de fantasy composée de 5 romans et 1 recueil d’histoires courtes. Il me reste un roman à lire (reporté en 2015 car une personne est en retard à la bibliothèque). Par Moto Hagio, j’ai redécouvert Urusla Le Guin avec La main gauche de la nuit pour dévorer tout le Cycle de l’Ekumen (dont les romans ne sont pas à suivre), en particulier Les dépossédés, Quatre chemins de pardon et le recueil d’histoires courtes L’anniversaire du monde. Cette année, j’ai voulu redonner une chance à Terremer, dont j’ai lu l’intégrale (vers 2009) reprenant les 3 premiers opus réédité à l’occasion de la sortie du film de Gorô Miyazaki (top 1 de la couverture la plus laide pour un livre de fantasy en illustration). A l’origine, j’ai décidé de lire le livre afin de comprendre quelque chose au film que je trouvais très confus. Je n’avais pas aimé ma lecture, imaginant plus d’action et n’ayant gardé aucun souvenir. Lorsque j’ai relu les 3 premiers opus cette année, ce fut un bonheur. Il faut savoir apprécier le rythme lent des récits de Le Guin, son écriture simple et accessible, pleine de sagesse, sans effet bling-bling, pour pouvoir aimer Terremer. Dans Terremer, Le Guin décrit un univers composé d’îles et où la magietehanu consiste à connaître le Véritable nom des choses, le Langage ancien que seuls les dragons parlent naturellement. Les trois opus écrits dans le début des années 1970 (regroupés sous l’intégrale de Robert Laffont) racontent la vie de Ged. Dans Le Sorcier de Terremer, Le Guin raconte l’enfance et l’adolescence de Ged en formation de mage à l’école des sorciers de Roke, il doit affronter ses peurs. Les tombeaux d’Athuan a pour héroïne Tenar, élevée dans les tombeaux et vouée à ne pas voir le monde, ce roman parle d’émancipation, on y croise un Ged adulte et mal en point. Dans L’ultime rivage, Ged est devenu Archimage de Roke et s’embarque dans un voyage avec le jeune Arren afin de comprendre pourquoi la magie du monde est déséquilibrée. Dans les années 1990, Le Guin décide de revenir vers Terremer avec le roman Tehanu où elle focalise son histoire sur Tenar devenue une femme mûre recueillant Therru, victime d’agressions sexuelle et retrouvée brûlée, mutilée. On y trouve un roman beaucoup plus lent, plus calme, centré sur le quotidien et dans un seul contes_terremerendroit, Gont, là où la première trilogie était composée de voyages. C’est un roman mal aimé que j’ai beaucoup apprécié, où Tenar se pose beaucoup de questions en tant que femme, sur le pouvoir et la magie. Vient ensuite le recueil d’histoires courtes Contes de Terremer, composé d’histoires se déroulant bien avant la première trilogie (Le Trouvier raconte la formation de l’école de Roke, Les os de la terre s’intéresse à Ogion, le maître de Ged), pendant que Ged est Archimage (Dans le grand marais), après Tehanu (Libellule) ou encore hors-temps (Rosenoir et Diamant, une histoire d’amour). Alors que j’ai souvent lu que ce recueil était peu inspiré, je dois dire que je l’ai trouvé passionnant. Le Guin continue à réfléchir sur les femmes dans la fantasy, sur la nature dugedo_senki pouvoir et continue de faire évoluer son univers, surtout avec Libellule où l’intrigue sur l’Archimage de l’école de Roke reprend (« une femme de Gont »).  A la fin de la première trilogie, j’ai décidé de revoir le film de Gorô Miyazaki, intitulé Contes de Terremer en VF, et je dois dire que j’ai beaucoup plus apprécié, même si je n’ai pas réellement trouvé l’ambiance de Le Guin: plus sombre, plus porté sur l’action, plus porté sur Arren aussi, avec un début faisant un peu penser à Princesse Mononoke. Et surtout, il faut lire Tehanu avant de le voir car le film comprend le personnage de Therru et pas mal de révélations sur elle (d’ailleurs, ne PAS lire le quatrième de couverture de Tehanu non plus). Le film est très beau et ça m’a fait plaisir de retrouver le chara-design des studio Ghibli dans un monde de fantasy. Dans tout le cycle, Le Guin est influencée par le taoïsme avec sa notion d’équilibre de la magie, du non-agir ou encore la magie des mots.

servante_ecarlateLa servante écarlate (The Handmaid’s Tale) de Margaret Atwood, roman d’anticipation. Voilà un roman que j’ai découvert par le biais de Marginal de Moto Hagio dans une analyse de Ebihara pour le site Genders OnLine, et j’ai longtemps cru qu’il n’existait pas de version française. Le clou s’est enfoncé lorsque je l’ai su, mais qu’en plus, Ursula Le Guin semble apprécier le travail de Atwood, notamment dans sa chronique pour The Guardian du Temps du déluge. Atwood est une auteure canadienne qui écrit principalement sur les femmes, et s’est révélée pour des dystopies (speculative fiction selon Atwood) telles que La Servante écarlate et sa trilogie composée du Dernier homme, Le temps du déluge et Madaddam (dont les droits ont été achetés par HBO). La Servante écarlate partage un thème en commun avec Marginal de Moto Hagio (l’un est sorti en 1985, l’autre en 1987): le problème de naissances. Le synopsis est célèbre, et c’est un peu dommage car la narration particulière de Atwood sur ce roman est très subtile sur l’environnement de l’histoire, Atwood plongeant la lectrice ou le lecteur directement dans les pensées de son héroïne. Le roman se présente en fait comme un journal intime assez anarchique d’une femme dont le travail n’est pas révélé de suite. On pénètre directement dans les pensées de l’héroïne et c’est très immersif mais aussi difficile car Atwood utilise très vite des termes qu’on ne peut comprendre dés le début, et la narration est parsemée de sauts dans le temps et de souvenirs d’une autre époque. J’aurais aimé découvrir ce livre sans rien savoir dessus, car c’est immersif et je pense que le plaisir est encore plus grand quand on comprend petit à petit ce qui se passe dans cette histoire. Ce livre est un véritable cauchemar; il parle de la domination masculine, mais aussi de totalitarisme, de fanatisme religieux, d’absence de libertés et d’excès de moralité puis d’écologie (thème cher à Atwood). La fin est déstabilisante et originale, nous laissant dans le flou concernant notre héroïne et d’autres personnages côtoyés tout le long. La narration est particulière, parfois très froide, et l’ambiance est proche de 1984 d’Orwell. A lire absolument.

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Les Dépossédés

depossedes_leguinDans Les Dépossédés (The Dispossessed), Ursula Le Guin s’intéresse à des planètes jumelles séparées par des idéologies très différentes. De réputation, Les Dépossédés est un roman politique et nombreux sont ceux y ayant vu dans cette division d’idéologie celle que partageait notre monde lors de la guerre froide (le roman est sorti en 1974). Sur Anarres règne une utopie anarchiste prônant la liberté, l’égalité et la non-propriété. La société est basée sur la solidarité, la collectivité et la collaboration entre les individus, il n’y a ni gouvernement, ni loi, ni frontières, ni États. Urras est une planète ressemblant beaucoup plus à ce que nous connaissons, avec ses inégalités entre individus (classes de possédants et non-possédants) mais aussi entre les pays. Le héros de l’histoire, Shevek, est un habitant d’Anarres. Physicien de génie, il est convié sur Urras. Shevek y voit l’occasion pour rapprocher les deux planètes et pourquoi pas échanger avec les habitants d’Urras. Mais en tant qu’invité de marque, il ne pourra pas aller où bon lui semble, ni sortir du protocole diplomatique.

Des romans de Ursula Le Guin que j’ai lus (ou en train), à savoir Terremer (l’intégrale des trois premiers volumes, à côté desquels je suis totalement passée à côté), La main gauche de la nuit, Le monde de Rocannon et en ce moment même Le Dit d’Aka, Les Dépossédés est sûrement celui que j’ai préféré, le plus profond, le plus immersif, le plus intéressant. Pour le moment. La narration se révèle très soignée et se partage entre le présent, sur Urras, où on suit donc Shevek, puis le passé de Shevek sur Anarres depuis son enfance, au rythme d’un chapitre pour une planète, un chapitre pour l’autre. Cette alternance permet donc de découvrir, à égalité, les deux planètes et les deux systèmes qu’Ursula Le Guin met en parallèle. Shevek est un personnage qui semble effacé aux premiers abords, mais c’est aussi ce qui facilite l’immersion dans ce roman. Shevek n’est pas qu’un physicien timide, c’est aussi une personne que l’on découvre petit à petit au fur et à mesure qu’on lit le roman, une personne avec sa manière de penser, avec sa vie très remplie, avec son expérience aussi. Bref, je ne pensais pas dire ça un jour, je le trouve extrêmement attachant.

Au travers ce roman, donc, deux manières de penser, mais pas vraiment le bloc communiste rouge d’un côté, le bloc capitaliste de l’autre. Loin de là, mais plutôt une déconstruction, une manière de se dire qu’il est peut-être possible de vivre et de penser différemment, une manière aussi de comprendre que beaucoup de données sont plus acquises qu’innées, et que le milieu dans lequel nous vivons nous conditionne beaucoup. Pas de révélation dans ce que je dis, mais je l’ai beaucoup ressenti ainsi. Car le conditionnement sur Anarres comme sur Urras donne des manières d’appréhender les choses de manière différentes. Sur un monde, pas de consommation, des conditions de (sur)vie extrêmement difficiles, où la solidarité est obligatoire. Mais c’est aussi dans ces conditions que les êtes humains parviennent à s’ouvrir aux autres, à vivre une vie sans artifice, plus terre à terre et sans barrières, pas de lâcheté, pas de possession, sauf sa propre personne. Sur Urras, les modes de vie sont plus variés entre pays riches et pays pauvres, et même au sein d’un pays, entre personnes de classes sociales différentes. Les envies, l’ambition, la liberté d’entreprendre et les inégalités entre êtres humains reconnus permettent à certains d’effectuer des prouesses. Seulement, les envies sont souvent liées à une position sociale à obtenir, et les êtres humains n’apprennent pas à développer leurs propres envies, n’apprennent pas vraiment à vivre librement. Urras ressemble donc à notre Terre, celle des 20ème et 21ème siècle, avec une géopolitique compliquée, des révoltes et même un gouvernement communiste, celui de Thu.

Shevek a des difficultés à lier des liens avec les personnes d’Urras, ou plutôt les Iotiens vu qu’il se trouve dans la capitale (qui ressemble aux États-Unis, avec ses avenues marchandes à tout va). Il parle de « Mur », de personnes qui jouent une sorte de rôle en société, et à qui il est difficile de parler à cœur ouvert. Urras est magnifique par ses prouesses techniques, par ses belles villes, ses bâtiments solides, mais sur Urras, les personnes ne semblent pas vraiment « en phase ». Ursula Le Guin y balance même une petite pique à ce titre, sur le sexisme. Car Urras est une planète qui se rapproche de la nôtre, sur laquelle la femme est grandement objectivée, alors que les différences hommes-femmes n’ont pas lieu sur Anarres. Ce qui vaut à Shevek une grande surprise, ne comprenant pas comment les femmes peuvent ainsi accepter d’être belles ou enceintes seulement, de ne pas avoir la possibilité de réfléchir et d’être respectées comme les hommes. Il y a une phrase qui est extrêmement vraie: « I think that’s why the old archisms used women as property. Why did the women let them? Because they were pregnant all the time—because they were already possessed, enslaved! » (je n’ai pas la phrase en français sous la main et j’ai piqué ceci à Brain VS Book).

Mais sur Anarres, et Shevek le comprend en grandissant, une autre forme de « Mur » existe tout autant. Alors que tous sont à égalité, il faut toujours observer que chacun fait bien ses travaux, qu’il n’est pas un fainéant, bref, il faut toujours se conduire de sorte d’être un « bon » odonien (qui suit la philosophie d’Odo, femme ayant inventé cette forme d’anarchie, c’est sur les bases d’Odo que la planète s’est construite, avec des personnes d’origine d’Urras). Tout n’est pas, contrairement à ce qu’on peut le croire, tout blanc ou tout noir. Shevek, avant son départ sur Urras, a fait face à de nombreuses épreuves dans sa vie, notamment sa vie de famille, car le privé n’est pas ce qui est le plus important sur Anarres. Ursula Le Guin reste donc nuancée dans ce roman. Chronologiquement, j’ai compris que Les Dépossédés, bien que cinquième volet du Cycle de l’Ekumen, se situe bien avant tous les autres puisque l’ansible est évoqué comme projet futur. Ursula Le Guin glisse également une critique sur le monde de l’enseignement dans lequel les élèves sont surtout là pour obtenir des notes et un diplôme, plus que par amour de la discipline. C’est ce qui étonne en premier lieu Shevek sur Urras, chose qu’il n’arrive pas à comprendre, voir des étudiants là juste parce-qu’à la fin, ça ramène de l’argent car tel domaine est valorisé. Sur Anarres, il y a plus de possibilité de découvrir ses véritables envies, se connaître. J’arrête ici, étant donné que j’ai beaucoup de mal à restituer ce qui m’a passionnée dans ce roman… et je préfère finalement publier ceci que de le laisser éternellement en brouillon (ça fait bien un mois qu’il était là).

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La main gauche de la nuit

main_gauche_nuit_le_guinA force de m’intéresser à Moto Hagio (notamment son Marginal) ou à Shio Sato, en passant par Matt Thorn (un des fournisseurs principaux de cette came rare et précieuse en langue anglaise), j’ai fini par très souvent croiser un nom: Ursula Le Guin, et surtout, un drôle de titre: The Left Hand of Darkness ou La main gauche de la nuit. Oui, un titre, vraiment étrange à mes yeux, mais qui a influencé des mangaka dont j’estime le travail très intéressant (ou je le suppose, vu le peu que j’ai pu lire d’elles), et un des romans préférés de Matt Thorn. La passion des manga mène parfois vers des chemins surprenants, et ce fut pour moi l’occasion de découvrir vraiment Ursula Le Guin. Il m’est arrivé, il y a plusieurs années, après avoir vu le film de Goro Miyazaki, de me pencher sur Terremer, parce que je n’en avais pas compris grand chose. Je n’avais à l’époque pas accroché à cette fantasy, sûrement parce que je m’attendais à une aventure merveilleuse. Finalement, je dois dire que les manga m’ont donné une seconde chance car La main gauche de la nuit fut une réelle découverte, celle d’une auteure fabuleuse pleine d’idées, de subtilité, d’intelligence, et tout cela avec une pointe de féminisme.

La main gauche de la nuit fait partie du Cycle de l’Ekumen, parfois nommé Cycle de Hain, qui regroupe des romans indépendants se déroulant dans un univers commun. Dans cet univers, de nombreuses planètes peuplées d’humains forment une sorte de gouvernement interplanétaire appelé la Ligue de tous les mondes ou Ekumen. L’action prend place dans un futur très lointain, la Terre fait partie de ce gouvernement et les voyages dans l’espace sont monnaie courante. Une autre caractéristique de cet univers est la découverte de l’ansible, un appareil permettant de communiquer instantanément entre deux personnes, peu importent les distances les séparant. Genly Aï, originaire de la planète Terre, travaille pour l’Ekumen. Il est envoyé sur la planète glaciale Géthen (ou Nivôse en terrien) pour que celle-ci rejoigne l’Ekumen. Sa mission est de s’infiltrer sur la planète seul afin de convaincre ses dirigeants. La grande particularité de Géthen, outre son froid à couper le souffle, provient de ses habitants: il n’y a pas de genre féminin ou masculin.

Le fait d’avoir un héros masculin et terrien permet une identification. Genly Aï est particulièrement troublé par le caractère non genré sur Géthen, et passe tout son temps, à travers ses préjugés sur le genre féminin, de décider si untel est plutôt un homme, ou plutôt une femme. Notamment, le côté mesquin, un peu fouine, qui inspire la méfiance, est attribué à la féminité (un aspect de la personnalité d’Estraven avec lequel il a beaucoup de mal). Le côté misogyne de Genly Aï est bel et bien là, et toute l’absurdité que montre Le Guin réside dans le fait que cela n’a aucun sens sur cette planète. Mais surtout, Le Guin soulève la question du genre comme une obsession dans notre quotidien, et prend une importance capitale: nous sommes avant tout un homme ou une femme, avant même d’être un être humain, avec ses défauts, ses qualités ou sa personnalité. Avec La main gauche de la nuit, Ursula Le Guin écrit un roman de science-fiction aux idées féministes (le roman date de 1969). Un monde dans lequel l’égalité serait atteint pourrait donc ressembler à Géthen.

Au-delà de cet aspect féministe, La main gauche de la nuit se révèle intéressant dans sa narration, du moins de mon point de vue, n’étant pas habituée à lire de la science-fiction. Ursula Le Guin a une formation d’ethnologue, ce qui se ressent dans son travail. Dans La main gauche de la nuit, l’intrigue ne semble pas tenir une très grande place. Je ne dis pas qu’elle est inintéressante, qu’elle est inexistante, mais ce n’est pas ce qui m’a le plus frappée. Ce qui m’a beaucoup plu dans ce roman, c’est la manière avec laquelle Ursula Le Guin s’intéresse à Géthen, sa manière de construire les cultures, les coutumes, les religions, les philosophies sur Géthen (et même la sexualité). La géopolitique est bel et bien présente, et celle-ci fait partie du coeur de l’intrigue. Ursula Le Guin n’hésite pas à alterner les chapitres: légendes et contes de Géthen, rapports scientifiques, narration partagée entre deux personnages: Genly Aï le Terrien et Estraven le Géthénien. Elle prend son temps pour développer son univers, afin que le lecteur puisse se familiariser à Géthen. Le rythme est lent et très introspectif, et c’est peut-être ce qui rend parfois Le Guin hermétique (notamment sur Terremer, pour ma part).

Voici un très beau roman, dans lequel se développe une grande amitié pleine de respect et de compréhension. Le tout traité avec intelligence, subtilité, avec un côté philosophique très présent. Les deux pays dans lesquels se déroulent l’histoire sont gouvernés par des régimes politiques très différents: une monarchie, et un régime bureaucratique avec une liberté d’expression restreinte. Il y a à mes yeux quelques longueurs, notamment lors du voyage qui développe la relation entre les deux protagonistes. Avec La main gauche de la nuit, je redécouvre enfin Ursula Le Guin, et tout cela m’a donné envie de lire d’autres romans du Cycle de l’Ekumen, et en particulier Les Dépossédés. Enfin, pour la petite histoire, La main gauche de la nuit est le quatrième volet du cycle.

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The Story of the Stone #1: The Golden Days

story_of_the_stone_vol1The Story of the Stone est la traduction anglaise de ce que nous connaissons ici sous le titre Le Rêve dans le Pavillon Rouge qui fait partie des grands classiques de la littérature chinoise, aux côtés de Fleur en Fiole d’Or, Le Voyage en OccidentAu bord de l’eau et Les Trois Royaumes. Petit aparté, malgré ce que disent toujours les mangaka dans les petits mots aux lecteurs, non, L’investiture des dieux ne fait pas partie de ces grands classiques littéraires chinois (du moins pour la Chine). Le titre figure malgré tout souvent dans les quatre grands romans chinois pour les Japonais, et cela est, à mon avis, dû au fait que la traduction japonaise de L’investiture des dieux fut un succès (mais je ne fais que supposer). Autre aparté, j’ai fait le choix de lire ce roman fleuve en anglais. Pour information, Le Rêve dans le Pavillon Rouge existe en français chez La Pléiade en 2 volumes et autant le dire, c’est onéreux et pas pratique à emporter dans les transports (le papier fin, le poids du livre, etc…). En anglais, le roman est traduit sous le titre The Story Of the Stone par David Hawkes chez Penguin Classic, en 5 volumes (environ 10€ l’unité).

Le Rêve dans le Pavillon Rouge est un roman fleuve chinois du 18ème siècle, sous la dynastie Qing. Il conte la vie quotidienne de la famille Jia, famille extrêmement riche et proche de l’Empereur au début de l’histoire et qui va décliner par la suite. Les Jia vivent dans une riche propriété comprenant deux grandes maisons: les Rong-Guo et les Ning-Guo, chacune descendant de ducs du même nom. La trame principale s’intéresse surtout à Jia Baoyu, jeune homme né avec un jade dans la bouche qui se trouve au milieu d’un triangle amoureux: d’un côté la belle et susceptible Lin Daiyu et de l’autre, son opposée Xue Baochai. Je précise de suite que ces deux jeunes filles sont les cousines de notre héros. En outre, s’ajoutent aussi diverses histoires d’amour ou de flirt avec certaines servantes de Bao-yu. Dans le premier volet qui comprend les 26 premiers chapitres (et environ 500 pages), j’ai surtout vu un peu de flirt, quelques scènes de jalousie mais surtout la description incroyablement soignée du quotidien d’une famille aristocrate (et toute sa maisonnée, le mot est faible) sous les Qing. Comme son titre l’indique, le premier volet s’intéresse à l’âge d’or de la famille Jia. David Hawkes décrit Le Rêve dans le Pavillon Rouge comme un équivalent chinois de La Recherche du temps perdu de Marcel Proust.

Un mystère entoure la paternité de cette oeuvre littéraire et son étude donne même naissance à ce que l’on nomme Rougeologie. L’introduction de David Hawkes qui se penche sur les choix de traduction et son amour pour Le Rêve dans le Pavillon Rouge s’étend également sur ces histoires d’auteurs. Pour résumer, Le Rêve dans le Pavillon Rouge a été écrit par Cao Xueqin qui s’inspire de sa vie réelle. Les Cao étaient une famille aristocrate très proche de l’Empereur qui a décliné suite à un vent politique peu favorable. Jusqu’à ses 13 ans, le jeune Xueqin aurait vécu une vie de satin comme son héros Baoyu, et a fini dans la pauvreté lorsqu’il a écrit ce roman. La légende voudrait que Xueqin se soit remémoré sa vie d’antan avec grand regret, la magnifiant sûrement. L’autre légende raconte que ce roman rend hommage aux différentes femmes entourant le quotidien du jeune Xueqin, femmes qui ont été supérieures moralement et physiquement à toutes les personnes qu’il n’ait jamais connues. Le roman fut diffusé au début aux proches de Cao Xueqin sous forme de manuscript, allant de mains en mains, avec anotations, avant de connaître diverses éditions pirates avec un succès grandissant. Sur les 120 chapitres que comptent le roman, Cao Xueqin en a rédigés 80. Le mystère entoure donc la suite, soit les 40 derniers chapitres, issus d’une personne différente. L’édition dite complète du roman comprend donc les 120 chapitres, édition attribuée à Gao E et Cheng Weiyuan.

Le Rêve dans le Pavillon Rouge a connu de nombreuses traductions plus ou moins reconnues, plus ou moins complètes. Mais il est clair qu’il s’agit d’un véritable défi, du fait de sa longueur, de ses références culturelles, mais aussi des nombreux poèmes, des figures de style de la littérature chinoise, des homophones (et ils sont nombreux) et de la langue incroyablement riche (enfin, moi je ne sais pas, j’ai déjà du mal à lire des… manga). Celle de David Hawkes est une des plus célèbres et des plus prisées. Son parti pris concerne déjà le choix du titre: alors que de nombreuses traductions ont opté pour le titre connu en Chine, Hong Lou Meng (紅樓夢), littéralement Le Rêve dans le Pavillon Rouge, David Hawkes choisit un autre des cinq titres connus du roman: Shitou ji, littéralement Les mémoires d’une pierre. Mais surtout, il adapte beaucoup et rend alors le roman bien plus accessible que du « très fidèlement traduit », ce qui attise donc encore aujourd’hui certains débats, l’exemple le plus fort étant celui de la couleur rouge, parfois remplacée par celle du vert, car culturellement plus anglais. Il y a aussi la décision de nommer les domestiques en traduisant la signification du nom directement en anglais (Caltrop, Aroma, etc…) sans expliquer en annexe (dommage), au lieu de garder le nom chinois. Ainsi, l’exemple le plus décrié étant Aroma soit Hua Xiren qui comporte un jeu de mot: attaquer les hommes. Il est aussi dommage que les noms chinois des personnages n’apparaissent pas dans le lexique.

Que ceux qui craignent la lecture de ce pavé n’aient crainte. En effet, alors que sa réputation en fait un objet de lecture inaccessible, il n’en est rien, du moins dans la traduction anglaise que j’ai lue. Après, pour des problèmes de langue inhérent à moi-même, j’ai eu du mal avec certaines descriptions de jardins un peu trop longues, des poèmes ou de joutes de poèmes entre les personnages. La narration de Cao Xueqin est incroyablement vivante et s’adresse directement au public dans le premier chapitre. D’ailleurs, cette introduction surprend car l’auteur de l’histoire n’est autre qu’une pierre se trouvant dans le domaine céleste. C’est donc avec un début fantastique, mystique, faisant appel au taoïsme et au bouddhisme que s’ouvre le roman fleuve. Par la suite, Cao Xueqin continue à mener son public en bateau: dans le domaine terrestre, il s’intéresse à un certain Jia Yucun qui ne fait pas partie de la famille Jia dont parle le roman, puis aussi à Yingliang, une enfant qui entrera plus tard dans la demeure des Jia sous le nom de Caltrop, en tant que servante des Xue (la famille de Baochai). Il faut attendre quelques chapitres pour enfin entrer dans la demeure des Jia, en compagnie de Lin Daiyu, un des personnages principaux de l’histoire. Lin Daiyu n’ayant plus de mère, et son père ayant du mal à faire son éducation, l’envoie dans la demeure des Jia (du côté de sa mère).

La traduction du roman est très fluide, ce qui le rend très facile à lire. Pour ma part, j’ai trouvé un anglais extrêmement joli, et David Hawkes, par sa plume, restitue bien le talent littéraire de Cao Xueqin. Les personnages sont très nombreux et les noms chinois, pas toujours faciles à retenir (on retrouve un Jia Lian et un Jia Lan). Heureusement, l’édition propose un arbre généalogique pour s’y retrouver (ah oui, qui est l’oncle, la tante ou l’enfant illégitime?) ainsi qu’un lexique expliquant très succintement chaque personnage rencontré. Et on en dénombre donc beaucoup, des dizaines et des dizaines, certains étant importants, d’autres ne paraissant que le temps de quelques chapitres. Toujours est-il que c’est un univers incroyablement foisonant. Personnellement, à voir ces personnages vivant de manière très luxueuse et surtout oisive, j’y vois comme une petite critique de cette famille aristocrate, dont le descendant principal de sexe masculin, Baoyu, est extrêmement gâté par son aïeule. Le faste y est juste étonnant, et les descriptions de chaque réception spectaculaires, que ce soit la moindre fête, ou au mieux, la visite d’une des filles de la maisonnée devenue concubine impériale. Si la famille est déjà dotée de nombreuses personnes, il faut aussi compter tout le personnel qui s’y accompagne, chaque personnage ayant au moins plusieurs serviteurs à son service, et cela s’accompagne avec ceux qui s’occupent de telle ou telle demeure. Il y aurait plusieurs centaines de domestiques travaillant chez les Jia.

L’intrigue principale, si elle concerne un triangle amoureux, n’est pas si évidente. En effet, Cao Xueqin conte avant tout la vie de toute la maisonnée, et les sous-intrigues sont donc très très très nombreuses. Que ce soit un cousin qui essaie de séduire unetelle, ou un oncle qui voudrait soutirer de l’argent aux riches Jia, ou les histoires entre les domestiques qu’il ne faut pas négliger. Chacun complote à qui mieux mieux dans cette maison, en premier lieu la cousine par alliance de Baoyu, Wang Xifeng, une championne parmi les championnes. La hiérarchie au sein de la famille s’illustre surtout à travers Baoyu, beaucoup trop gâté et jamais critiqué du fait qu’il est le préféré de sa grand-mère, la doyenne des Jia (et dieu sait que l’âge a une importance capitale en Chine). Le personnage de Baoyu, mais aussi d’autres personnages masculins de la famille Jia, préfigurent le déclin de celle-ci: Baoyu préfère les futilités comme la poésie au confucianisme et aucun des hommes de la génération précédente ne semble avoir le goût des responsabilités (et ceux qui l’ont, avec le sens des études, sont décédés…). Les femmes, en revanche, sont aussi belles qu’intelligentes.

Cao Xueqin, lors du chapitre 5, révèle le destin de chacune des douez beautés de Jinling, douze femmes entourant Baoyu. Sûrement dû au format du manuscript, il y a donc des incohérences, du fait que certaines ne meurent pas comme on le pense, ou de manière très rapide, obscure. C’est le cas de Qinshi, qui est censée se suicider, mais qui meurt très rapidement d’une maladie curieuse. L’interprétation des poèmes en annexe (et on en a bien besoin vu que Cao Xueqin s’exprime en symboles selon les noms chinois des protagonistes, ou en homophones, donnant lieu à des sortes de rébus) donne l’idée que Qinshi entretenait une laison avec son beau-père. Dans le roman, cela n’est jamais mentionné et j’ai même cru m’être trompée lors de ma lecture. Le fantastique, ou domaine céleste, n’est jamais en reste: par les rêves de Baoyu, mais encore cet épisode mystérieux du miroir qui touche un cousin qui a voulu s’approcher de Xifeng. Le moine taoïste et le moine bouddhiste reviennent de temps à autres, scandant des vers bien étranges. L’idée de la vie comme une illusion, idée bouddhiste (merci David Hawkes), est très prégnante dans le roman. Les rêves récurrents, la figure du miroir, ou encore la vie même au sein des Jia, tellement faste qu’elle ressemble à une illusion.

Si on devait me demander quelle est l’intrigue de ce premier volet, je dirais qu’il n’y en a pas vraiment. Baoyu est un personnage vu comme subversif à certaines époques: refusant de rester à sa place, il vit et ne fréquente que les femmes de la maison et n’aime pas le confucianisme qu’il préfère aux poèmes. En plus, certaines relations sont louches, on devine des hommes homosexuels. Les hommes n’apparaissent pas sous leur meilleur jour, pas vertueux pour un sou (diverses tromperies, notamment le mari de Xifeng). Enfin, la relation entre Baoyu et son père, Zheng, est très difficile, ce dernier ne réussissant pas à en faire un homme vertueux, parce que sa grand-mère le gâte beaucoup trop. A ce sujet, Hawkes y ajoute dans son introduction sans doute l’absence d’une figure paternelle dans la vie de Xueqin. Pour le moment, j’ai du mal à m’attacher aux personnages de Baochai et Daiyu: l’une parce que j’ai un peu de mal à la cerner, l’autre parce qu’elle est très susceptible: une ancêtre de la tsundere qu’on voit tant dans les anime! Le personnage de Aroma a en revanche une grande importance, et Xifeng est aussi très mise en avant. J’ai oublié de dire à quel point tout ce beau monde est vivant, il est impressionnant de voir autant de personnages de la plume d’une personne, dans un même roman!

Enfin, il est difficile de réellement situer le roman: à plusieurs reprises (et cela est confirmé dans l’introduction de Hawkes), je me suis demandée si les Jia vivaient à Nankin ou à Beijing, du fait du kang (une pierre chauffante qu’on trouve dans toutes les maisons de la Chine du Nord), mais on entend parler des Jia de Nankin. Enfin, l’âge des protagonistes m’a souvent paru obscur: quel âge ont Baoyu, Baochai et Daiyu? A un moment, Baochai fête ses 15 ans, mais tout cela reste brumeux. J’ai déjà beaucoup écrit, et ce n’est pas forcément très intéressant. Toujours est-il que je vous encourage vivement à lire ce roman, surtout dans sa version anglaise, très facile d’accès tout en gardant une grande beauté, et malgré les parti pris de Hawkes. Alors que l’intrigue est si difficile à définir, la lecture du Rêve dans le Pavillon Rouge est passionnante (la suite! la suite!). Pour ceux qui auraient vraiment la flemme, mais qui aimeraient quand même découvrir ce pan de la culture chinoise, il existe une série des années 80 dont on vante souvent la qualité.

En parlant d’homophones, il y a déjà le nom de famille Jia, qui se prononce comme « faux » en chinois. La famille Zhen, à laquelle les Jia sont liés par alliance, sonne comme « vrai ». Et que dire de Baoyu, qui préfigure l’enfant gâté: son nom signifie littéralement « jade précieux », du fait qu’il est né avec une pierre de jade dans la bouche. Quant à la minutie de la vie des Jia, elle va jusqu’à la composition de certains médicaments, de sorte qu’on se croirait chez l’apothicaire (et puis les noms de plante en latin quoi!!! Alors que ce sont des noms de plantes communément utilisés dans la langue chinoise…). Les descriptions de vêtements sont également très nombreuses, de la tête au pied, surtout pour Baoyu.

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Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur

oiseau-moqueurIl m’arrive rarement de lire des livres sans images. Cela résulte de nombreux achats manga et comics ces deux dernières années, et que je n’achète que rarement des romans, préférant les emprunter en bibliothèque municipale (on pourrait faire le même constat pour la BD dite indé). De ce fait, je me suis mise en « interdit bibliothèque » pour pouvoir finir les livres déjà chez moi (ce qui ne marche pas: je le suis depuis un an, mais comme j’achète aussi, je rentre dans un cercle vicieux). Ce Noël, j’ai reçu Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur de Harper Lee en cadeau, un « livre culte » comme on dit, par une personne qui me connaît peu, mais qui sait que j’apprécie la lecture (je ne me suis pas étendue sur les manga). La couverture est, de mon point de vue, très avenante avec cette petite fille très mignonne.

Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur a porté trois titres en français (Source: Wikipedia). Il s’agit du seul roman de Harper Lee, sorti dans les années 60 pendant la période marquante des Droits Civiques. Le roman se déroule dans l’Alabama, au Sud des Etats-Unis, dans les années 30, pendant la Grande Dépression. La narratrice de l’histoire est Jean Louise Fincher (ou Scout), une petite fille de 6 ans qui vit avec son grand frère Jem et son père Atticus. Sa mère est décédée peu après sa naissance, et elle ne la connaît que très peu. Atticus, qui travaille comme avocat, est aidé par une bonne noire, Calpurnia. Les enfants adorent jouer avec leur ami Dil, qui passe ses vacances d’été chez sa tante. Tout ce beau monde vit dans une petite ville où tout le monde se connaît depuis plusieurs générations. Le quotidien de Scott et Jem bascule le jour où Atticus devient l’avocat commis d’office de Tim Robinson, un homme noir accusé d’avoir violé une femme blanche, alors dans un Etat pratiquant la ségrégation.

Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur est un roman d’apprentissage dans lequel on voit nos jeunes héros, Scout et Jem, grandir d’années en années, et perdre petit à petit leur innocence. Le roman se déroule pendant trois ans, et on ne verra donc pas les enfants devenir adultes (juste Jem qui commence son adolescence). Pour ma part, je me suis beaucoup attachée à la petite Scout, petite fille espiègle qui aime gambader avec son frère et Dil, et qui est ce que beaucoup décrivent comme un « garçon manqué », et cela est sûrement dû à l’influence d’un grand frère. Voir des enfants constamment jouer dehors donne pas mal d’oxygène à la personne que je suis qui passe toute ses journées enfermée dans une tour de 31 étages. Surtout, j’ai l’impression (un ressenti hein) que les enfants d’aujourd’hui passent beaucoup moins de temps dehors à jouer que jadis. Je me souviens de mon enfance, surtout l’été, l’occasion enfin d’être dehors toute la journée. Scout est une petite fille très intelligente mais qui garde encore l’innocence et la naïveté d’une enfant. La narration à la première personne a donc beaucoup de charme, la naïveté se mélangeant parfois à beaucoup d’ironie lorsque le ton change, quand l’adulte prend le dessus sur la petite fille.

Beaucoup de personnes voient en ce livre un pamphlet contre la ségrégation. C’est en partie vrai, puisque le sujet du livre, qui ne vient qu’à la deuxième partie de l’histoire, implique la défense d’un homme noir accusé pour un crime qu’il n’a pas commis. Mais surtout, j’y ai vu la dénonciation de nombreux préjugés pouvant survenir lorsqu’on habite dans une petite ville où chacun se connaît. Ainsi, celui qui dévie de la « normalité » est montré du doigt, que ce soit Atticus qui fait tout ce qu’il peut pour élever ses enfants et qui ne veut pas se remarier, ou encore le voisin qui n’est pas sorti de chez lui depuis 30 ans, et sur qui tous les fantasmes se cristalisent. On a beau côtoyé des personnes depuis toujours, penser qu’ils sont bons, et pourtant, leur nature se révèle à un moment ou un autre. C’est ce que vont devoir apprendre Scout et Jem. Les préjugés, les ragots, qui font finalement plus de mal qu’on ne le croit. En même temps, Harper Lee n’est pas dans un schéma « nique tout », pas de violence ou de remise en question en bloc, mais surtout, il faut du temps pour que les gens s’habituent, les choses vont donc petit à petit, pas à pas. Je me demande ce que deviendra Scout après le roman, surtout qu’il y a l’injonction de la tante Alexandra, femme qui tient à faire d’elle une « dame » et tout ce que cela implique.

Dans ce roman, le thème de l’école comme une institution carcérale est fortement mis en avant. La petite Scout n’aime pas l’école, elle qui était impatiente d’y mettre les pieds en voyant son frère y aller. Malheureusement pour elle, l’école constituera des années de journées ennuyeuses pour elle, surtout qu’elle est en avance pour son âge, sachant lire depuis son plus jeune âge. Ainsi est soulignée l’absurdité d’une école qui tient à suivre un certain programme, demandant même à Scout de désapprendre ce qu’elle sait, lui interdisant la lecture, uniformisant donc tout le monde sur un même moule, tout le monde devant comprendre et apprendre de la même manière.

J’ai beaucoup aimé ce livre, et surtout la première partie avec les enfants qui jouent, qui se posent des questions sur tous les sujets. Les phases de jeux m’ont beaucoup plu, alors qu’elles ont ennuyé d’autres personnes (cela vient sûrement du fait que j’aime l’enfance). Ce sont lors de ces phases de jeu que se révèlent la personnalité des enfants. Que l’histoire soit vue par une fille est également quelque chose qui m’a plu, on voit qu’il est souvent difficile d’être une fille dans un groupe en majorité masculin, avec des garçons qui ont toujours cette injonction du « tu ressembles de plus en plus à une fille » pour indiquer qu’une personne est chiante. C’est un roman que je trouve riche, par sa narration, mais aussi par ses nombreux thèmes finalement. Le tout y est souvent traité avec finesse et la personnalité haute en couleurs de Scout y est pour beaucoup. Moi qui n’aime pas les cadeaux (surtout de Noël, je les vois comme un calvaire et une forme de politesse forcée…) je dois admettre que celui-ci fut très beau, ne connaissant absolument pas ce livre. Par contre, le quatrième de couverture est un peu tiré par les cheveux, comparant Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur avec L’attrape-coeurs. Les dernières pages contiennent une postface de la traductrice, Isabelle Stonaïov, très intéressante, avec aussi une petite frise sur les événements historiques dont il est question dans le roman. Le titre original du roman est To Kill a Mocking Bird.