Daniel Clowes fait partie de ces auteurs phares du comics indépendant. Son univers est fait de personnages évoluant (ou déambulant) dans une banlieue morne où il ne se passe rien. Ils sont souvent aigris, frustrés et misanthropes. Le titre le plus célèbre de Daniel Clowes est sans conteste Ghost World, qui a même donné lieu à une adaptation filmique. J’ai découvert Daniel Clowes par le biais de Adrian Tomine, et j’ai débuté avec Ice Haven, un récit ayant une excellente réputation mais qui m’a peu passionnée. De même pour David Boring, également très célèbre, mais dont le premier sentiment correspondait au patronyme du protagoniste. Ce n’est qu’avec Ghost World, mais surtout Comme un gant de velours pris dans la fonte que j’ai commencé à apprécier le travail de Clowes. Avec Wilson, l’humour de Clowes m’est paru plus évident. Il m’a fallu plusieurs années pour redécouvrir Daniel Clowes, avec Le rayon de la mort, car bien qu’il m’intriguait, je n’ai jamais pu l’emprunter.
Andy est un quadragénaire qui vit seul avec son chien. Il semble frustré, aigri et déteste la plupart de ses concitoyens (ceux qui ne ramassent pas les crottes de leur chien, ceux qui trompent leur femme, etc…). Et il a de quoi: solitaire, deux fois marié, deux fois divorcé, il ne s’entend finalement qu’avec son chien. Un saut dans le temps nous ramène à l’époque où Andy était adolescent. Déjà solitaire, ses parents sont décédés et il vit avec son grand-père. Son seul ami est un garçon egocentrique du nom de Louie, avec qui il reste plus par passivité que par réelle amitié. Le duo n’est pas vraiment populaire, loin de là, mais le jour où Andy fume sa première cigarette, une bonne surprise a lieu: l’adolescent développe une force surhumaine. Dés lors, tous les fantasmes sont possibles, surtout lorsque Andy découvre une arme que lui a laissé son père: le rayon de la mort.
Dans Le rayon de la mort Daniel Clowes se penche sur le cas de deux adolescents rejetés par leurs pairs. Des pauvres mecs, comme on dit souvent, un peu paumés, et surtout, qui s’ennuient à mourir. En fait, Andy est juste solitaire et peu loquace, plutôt du genre renfermé. C’est plutôt Louie qui est la cause de son ostracisme social, et qui est réellement rejeté par les autres adolescents. Il passe beaucoup de temps en monologue pendant que Andy doit l’écouter: « Me rencontrer est la meilleure chose qu’il te soit arrivée » étant une de ses phrases préférées. Clowes s’intéresse aux inadaptés sociaux, qui le sont dans leur jeunesse et qui finalement, le restent à l’âge adulte, comme en témoigne le début du récit.
L’humour de Clowes fait mouche, et certains dialogues sont très drôles. L’humour de Clowes est particulier car très pince sans rire. Le trait froid et tracé à la règle donne une ambiance morne. Le quotidien des héros, qui habitent dans une banlieue paumée lambda est sans éclat: les mêmes endroits, les mêmes maisons, les mêmes personnes. Le rayon de la mort arrivera donc à point nommé, permettant aux adolescents d’échapper à un ennui mortel.
Mais même ainsi, la vie ne change pas, car c’est plus le fantasme que la réalisation de celui-ci qui se produit: comment chercher un connard pour utiliser l’arme? Comment faire le bien? Les moments où les adolescents s’imaginent en super héros, avec Louie le sidekick, font clin-d’oeil aux comics mainstream. Finalement, l’arme ne change pas grand chose dans la vie d’Andy, la réalité est toujours là, sans éclat: pas de petite amie, pas d’amie, pas de passion particulière. Juste traîner, avec Louie, et se laisser grandir, pour devenir le quadragénaire ennuyeux, solitaire et aigri qu’on voit au début de l’oeuvre. La banalité même, tout le contraire de ce que peuvent vivre les super héros.
Les planches de Clowes sont toujours inventives. Derrière l’ennui, le trait glacial et les visages blasés qui ne sourient pas beaucoup (fantômatiques, même), il y a cette mise en page millimétrée, très design, jouant avec les titres d’ailleurs. Le tout se présente comme des séries de strips. J’aime beaucoup l’épisode du cours d’EPS, avec ses petites vignettes. Clowes aime jouer avec sa mise en page, toujours très géométrique, et met parfois un titre au milieu de la page. La narration est originale dans le sens où Andy s’adresse souvent directement au lecteur ou à la lectrice, que ce soit au moment présent ou à l’adolescence, par le Andy adulte et conscient. Et il n’est pas le seul, il y a aussi ces interviews de personnes connaissant Andy, et qui permettent au public de mieux cerner le personnage, son univers. J’aime beaucoup ces petits moments, avec des portraits de face comme sait si bien dessiner Clowes (et on est servi dans Comme un gant de velours pris dans la fonte). La fin est excellente, pleine d’interactions avec le public.
Il est dur d’écrire sur les œuvres de Clowes. Je les apprécie pourtant, mais je ne parviens jamais à écrire un avis dessus. Sans doute l’aspect particulièrement froid et cérébral qui s’en dégage, la distance de Clowes par rapport à ses personnages, son regard plein d’ironie sur la population américaine, ce qui nécessite une certaine capacité d’analyse. J’ai tout de même décidé de tenter cet avis sur Le rayon de la mort, même s’il manque de profondeur. A ce titre, il est d’ailleurs plus enrichissant de lire la chronique de Charlie Brown sur Bulledair, ainsi qu’une très belle interview de Clowes par Xavier Guilbert sur du9, ou encore un dossier touffu consacré à Clowes sur Neuvième Art. Avec Le rayon de la mort, je renoue avec Clowes des années après la lecture de Wilson. Il était temps!
Petit mot sur l’édition: toujours soignée chez Cornélius (Collection Solange), avec un papier épais et agréable au toucher. Titre original: The Death-Ray chez Drawn and Quarterly.