De Taïwan, nous ne connaissons finalement que peu de choses. Et non, ce n’est pas parce que je suis d’origine asiatique que j’en sais plus (étant en plus une déracinée, une « fausse » et tout ça). Ce que je connais de Taïwan, ce sont les pop stars, le système d’écriture traditionnel, le bubble tea, quelques réalisateurs, quelques sites pour commander des manga en chinois, des divergences politiques avec la République Populaire de Chine, les bagarres à la sortie du parlement (chaîne CCTV qui n’est pas forcément impartiale haha), et puis c’était à peu près tout. Ah si, plus jeune, je voyais Taïwan comme la Chine libre où on parle mandarin, un peu à l’image de Hong Kong en cantonais. Lin Li-Chin est née (dans les années 70) et a grandi dans une petite ville du sud de Taïwan (la capitale, Taipei, se trouve au nord de l’île) avant de venir en France et d’y rester. Devant l’incompréhension de nombreuses personnes au sujet de Taïwan, elle adopte une démarche proche de Marjane Satrapi et son Persépolis pour l’Iran: cela donne le « roman graphique » Formose sorti aux éditions Çà & Là.
Sur la couverture, le message est clair. On voit une petite fille, et des hommes politiques faire taire une petite fille à l’esprit un peu trop critique. Lin Li-Chin a donc décidé de faire le point sur la vie politique de Taïwan, de la petite enfance à l’âge adulte, en y mêlant donc souvenirs d’enfance. Taïwan a une histoire relativement complexe, c’est une île ayant connu diverses invasions. Les premiers ont été les Hollandais au XVIIème siècle. Par la suite, Taïwan est sous la coupe du Japon. Ensuite, l’île est libérée après la Seconde Guerre Mondiale par la Chine, et Tchang Kaï-Chek, devant l’échec du Kuomingtang face au communisme de Mao Zedong, s’installe à Taïwan. Ce qui fait donc de Taïwan une espèce de melting pot culturel, où au sein même de la famille, la culture est différente.
Lin Li-Chin nous apprend donc que ses grands-parents ayant vécu sous l’occupation japonaise restent nostalgique de la langue de l’ « opresseur » et écoutent volontiers de la musique japonaise. Les parents, eux, sont plutôt de culture taïwanaise et parlent le holo, langue locale. La famille de sa mère parle le haka, un dialecte de la Chine du Sud assez courant à Taïwan aussi. Enfin, la petite Li-Chin, elle, fait tout pour parler un mandarin parfait (sans accent holo donc) comme les gens qu’on montre à la télé, et symbolisant donc une forme de réussite sociale.
La Chine est donc plus ou moins arrivée sur une terre avec ses gros sabots, et impose donc sa vision à l’école où la petite Li-Chin, passionnée par le dessin, fait tout pour remporter les fameux concours de dessin anti-communistes. L’école enseigne également la haine de l’ennemi japonais, ce qui vaut alors son pesant de cacahuètes lorsque l’auteure alors enfant rêvait malgré tout, avec une certaine culpabilité, des manga et autres dessins animés japonais (j’ai connu un dilemme semblable dans mon amour des manga). J’ai trouvé la partie sur l’enfance de Lin Li-Chin, mêlant naïveté et curiosité très intéressante, car on y voit un gouvernement écraser tout un pan d’une culture dés la petite enfance, leur apprenant à plus ou moins rejeter une identité d’origine (le holo).
Petit à petit, en bonne élève, Li-Chin, tout en se posant de nombreuses questions sur Taïwan dont les enfants n’apprennent finalement rien, grandit. Elle y raconte les moments difficiles de la scolarité, la course aux bonnes notes et surtout les années de bachottage (ou gâchis) où la scolarité ne forme pas des jeunes dotés d’esprit critique et de curiosité, mais juste des machines à mémoriser des informations. Cela est intéressant, car même si des choses sont à dire sur notre système scolaire, Lin Li-Chin s’émerveille malgré tout de l’esprit critique des lycéens français face à ceux de Taïwan, qui ne s’intéressent qu’à leurs études. Et ce constat est quand même assez véridique, même si les élèves sont aujourd’hui plus ouverts sur le monde (souvent dans une optique, malgré tout, d’intégrer les meilleures universités à l’étranger, le culte de la performance étant encore plus fort aujourd’hui de ce que je sais à Hong Kong, enfin c’est une impression).
L’âge adulte commence à l’université pour Li-Chin, où elle découvre tout un pan de son pays et où elle se sent enfin vivre après toutes ces années d’esclavage de bachotage. Mais là aussi, alors qu’elle découvre l’Occident par la Suisse, elle va se heurter au système dit libéral alors tant rêvé. Formose est un ouvrage extrêmement intéressant au ton souvent caustique, Li-Chin ne manquant pas de répartie et d’humour. On découvre une femme avec un regard extrêmement critique sur le monde mais surtout, sur son pays et sur l’éducation. C’est donc un coup de coeur. La petite Li-Chin me fait penser à une cousine de Mafalda par ses questions souvent gênantes et sa curiosité sans borne. Enfin, les dessins m’ont beaucoup plu, tout en rondeur, au crayon, très expressifs et avec un côté naïfs non sans charme. La narration se fait de manière très libre, sans cases, comme on peut le voir sur la planche ci-dessus. Je voulais aussi ajouter que Li-Chin dans son enfance me fait penser, graphiquement, à Chibi Maruko Chan (la coupe de cheveux, le chapeau, la petite robe à bretelles).
très intéressant. Je note ! ça donne très envie de le lire, surtout que, comme tu dit, on ne connais rien ou presque de Taïwan
Par contre c’est cher vu que c’est du petit éditeur!!! Je crois que c’est environ 22€. Pour ma part, je l’ai emprunté en bibliothèques, je n’ai plus de place du tout et je me consacre aux manga, format poche. Je n’y peux rien, les manga, je les ai dans la peau 😦 …