Je continue de parler de bandes dessinées lues récemment (merci la bibliothèque), même si j’ai conscience de ne rien apporter à de nombreux autres avis, tout ceci, encore une fois, dans le but de combattre le mal du siècle: la flemme. La chronique de Loïc Massaïa sur du9 est bien plus intéressante et moins enthousiaste.
Sous le titre curieux de Pachyderme se cache un album cartonné en 90 pages couleurs, édité par Gallimard, et surtout écrit et dessiné par le Frederik Peeters. Depuis Pilules Bleues et Lupus, je n’avais pas relu de bandes dessinées de ce talentueux auteur suisse, et depuis, pas mal de choses sont sorties. Je viens de lire, il y a peu, les deux tomes sortis de la superbe série de science fiction Aâma, mais je m’intéresse beaucoup au Château de sable, en collaboration avec Pierre Oscar Lévy, et surtout, j’étais très intriguée par Pachyderme. Déjà la couverture en apesanteur, mais aussi le titre, très étrange, et surtout, sa réputation lynchienne m’a séduite…
L’histoire se déroule dans la Suisse romande en 1951. On suit une femme, Carice, qui tente de se rendre à l’hôpital afin de voir son mari qui a eu un accident de la route. Malheureusement pour elle, un accident de la route l’empêche de rejoindre son mari: un éléphant sur la voie. De ce fait, elle se rend elle-même à l’hôpital où elle va vivre des choses pour le moins étranges.
Après avoir lu Lupus et Pilules Bleues, je ne m’attendais pas à lire un récit de ce type qui rend parano, un récit où on se demande où est la part de réalité et la part de rêve. C’est vrai, même dans Lupus, un titre de science fiction (ou plutôt, dans un univers de science fiction), Peeters revient toujours aux personnages, tout en introspection. Et même si Aâma est un peu le blockbuster de science fiction de Peeters, dans lequel il se lâche graphiquement, où il y a de l’action, de l’aventure et du mystère, le naturel revient au galop: cet amour de créer des personnages qui ont une épaisseur, un passé, des comptes à régler avec eux-mêmes et leur famille.
Dans Pachyderme, c’est avant tout l’étrange qui domine, on se sent aussi paumé que l’héroïne, Carice, sans jamais trop savoir où le récit va nous emmener. L’univers d’après-guerre dans une Suisse qui aurait été neutre donne une saveur particulière à l’histoire, avec les tenues mais aussi les voitures, les objets qui entourent les personnages mais aussi une histoire d’espionnage avec l’URSS. Le mélange entre rêve étrange et années 50 forme donc un cocktail réussi. Je reste très admirative devant le dessin de Peeters, absolument génial, ainsi que par la coloration, restituant encore mieux l’ambiance oppressante du récit (oppression aussi rendue par les couloirs interminables de l’hôpital). Les éléments étranges et variés interviennent dans l’histoire, le passage avec les bébés en pleine forêt ma rappelé Charles Burns. Les scènes s’enchaînent et semblent sans continuité, sans sens, mais le tout se rejoint pour un twist final.
Le twist final, d’ailleurs, ne surprend pas vraiment. Je me doutais plus ou moins qu’il s’agissait de cela. Et même dans cette histoire qui semble sans dessus dessous, Peeters revient au réel par la vie de Carice, dont des bribres sont livrées. Une femme qui semble s’ennuyer, dans une vie bourgeoise, en pleine impasse et questionnements sur sa vie. Peeters ne se lâche donc pas complètement dans l’irrationnel et une explication nous est donnée à la fin du récit. Cependant, certains éléments restent encore sombres pour ma part, notamment cette dernière page. Réalité, fantasme? Les passages à la morgue retiennent encore mon attention.
Un récit intriguant, étrange, mais toujours ancré dans le réel. J’aime beaucoup ce type de récit faisant penser à un Mullholand Drive, où la réalité est floue. Mais le fameux twist est finalement assez prévisible, ce que j’ai trouvé un peu dommage. Dans un genre encore plus étrange, avec des créatures vraiment bizarres et où on se demande pourquoi le héros s’est embarqué dedans (et comment…), j’aime beaucoup Comme un gant de velours pris dans la fonte de Daniel Clowes. Avec tout ça, j’ai très envie de m’embarquer pour Le Château de sable, et je suis très heureuse de redécouvrir Frederik Peeters. Son Aâma est vraiment génial (la suite, la suite!!! Oui je suis hors-sujet).