romans, science-fiction

Les Dépossédés

depossedes_leguinDans Les Dépossédés (The Dispossessed), Ursula Le Guin s’intéresse à des planètes jumelles séparées par des idéologies très différentes. De réputation, Les Dépossédés est un roman politique et nombreux sont ceux y ayant vu dans cette division d’idéologie celle que partageait notre monde lors de la guerre froide (le roman est sorti en 1974). Sur Anarres règne une utopie anarchiste prônant la liberté, l’égalité et la non-propriété. La société est basée sur la solidarité, la collectivité et la collaboration entre les individus, il n’y a ni gouvernement, ni loi, ni frontières, ni États. Urras est une planète ressemblant beaucoup plus à ce que nous connaissons, avec ses inégalités entre individus (classes de possédants et non-possédants) mais aussi entre les pays. Le héros de l’histoire, Shevek, est un habitant d’Anarres. Physicien de génie, il est convié sur Urras. Shevek y voit l’occasion pour rapprocher les deux planètes et pourquoi pas échanger avec les habitants d’Urras. Mais en tant qu’invité de marque, il ne pourra pas aller où bon lui semble, ni sortir du protocole diplomatique.

Des romans de Ursula Le Guin que j’ai lus (ou en train), à savoir Terremer (l’intégrale des trois premiers volumes, à côté desquels je suis totalement passée à côté), La main gauche de la nuit, Le monde de Rocannon et en ce moment même Le Dit d’Aka, Les Dépossédés est sûrement celui que j’ai préféré, le plus profond, le plus immersif, le plus intéressant. Pour le moment. La narration se révèle très soignée et se partage entre le présent, sur Urras, où on suit donc Shevek, puis le passé de Shevek sur Anarres depuis son enfance, au rythme d’un chapitre pour une planète, un chapitre pour l’autre. Cette alternance permet donc de découvrir, à égalité, les deux planètes et les deux systèmes qu’Ursula Le Guin met en parallèle. Shevek est un personnage qui semble effacé aux premiers abords, mais c’est aussi ce qui facilite l’immersion dans ce roman. Shevek n’est pas qu’un physicien timide, c’est aussi une personne que l’on découvre petit à petit au fur et à mesure qu’on lit le roman, une personne avec sa manière de penser, avec sa vie très remplie, avec son expérience aussi. Bref, je ne pensais pas dire ça un jour, je le trouve extrêmement attachant.

Au travers ce roman, donc, deux manières de penser, mais pas vraiment le bloc communiste rouge d’un côté, le bloc capitaliste de l’autre. Loin de là, mais plutôt une déconstruction, une manière de se dire qu’il est peut-être possible de vivre et de penser différemment, une manière aussi de comprendre que beaucoup de données sont plus acquises qu’innées, et que le milieu dans lequel nous vivons nous conditionne beaucoup. Pas de révélation dans ce que je dis, mais je l’ai beaucoup ressenti ainsi. Car le conditionnement sur Anarres comme sur Urras donne des manières d’appréhender les choses de manière différentes. Sur un monde, pas de consommation, des conditions de (sur)vie extrêmement difficiles, où la solidarité est obligatoire. Mais c’est aussi dans ces conditions que les êtes humains parviennent à s’ouvrir aux autres, à vivre une vie sans artifice, plus terre à terre et sans barrières, pas de lâcheté, pas de possession, sauf sa propre personne. Sur Urras, les modes de vie sont plus variés entre pays riches et pays pauvres, et même au sein d’un pays, entre personnes de classes sociales différentes. Les envies, l’ambition, la liberté d’entreprendre et les inégalités entre êtres humains reconnus permettent à certains d’effectuer des prouesses. Seulement, les envies sont souvent liées à une position sociale à obtenir, et les êtres humains n’apprennent pas à développer leurs propres envies, n’apprennent pas vraiment à vivre librement. Urras ressemble donc à notre Terre, celle des 20ème et 21ème siècle, avec une géopolitique compliquée, des révoltes et même un gouvernement communiste, celui de Thu.

Shevek a des difficultés à lier des liens avec les personnes d’Urras, ou plutôt les Iotiens vu qu’il se trouve dans la capitale (qui ressemble aux États-Unis, avec ses avenues marchandes à tout va). Il parle de « Mur », de personnes qui jouent une sorte de rôle en société, et à qui il est difficile de parler à cœur ouvert. Urras est magnifique par ses prouesses techniques, par ses belles villes, ses bâtiments solides, mais sur Urras, les personnes ne semblent pas vraiment « en phase ». Ursula Le Guin y balance même une petite pique à ce titre, sur le sexisme. Car Urras est une planète qui se rapproche de la nôtre, sur laquelle la femme est grandement objectivée, alors que les différences hommes-femmes n’ont pas lieu sur Anarres. Ce qui vaut à Shevek une grande surprise, ne comprenant pas comment les femmes peuvent ainsi accepter d’être belles ou enceintes seulement, de ne pas avoir la possibilité de réfléchir et d’être respectées comme les hommes. Il y a une phrase qui est extrêmement vraie: « I think that’s why the old archisms used women as property. Why did the women let them? Because they were pregnant all the time—because they were already possessed, enslaved! » (je n’ai pas la phrase en français sous la main et j’ai piqué ceci à Brain VS Book).

Mais sur Anarres, et Shevek le comprend en grandissant, une autre forme de « Mur » existe tout autant. Alors que tous sont à égalité, il faut toujours observer que chacun fait bien ses travaux, qu’il n’est pas un fainéant, bref, il faut toujours se conduire de sorte d’être un « bon » odonien (qui suit la philosophie d’Odo, femme ayant inventé cette forme d’anarchie, c’est sur les bases d’Odo que la planète s’est construite, avec des personnes d’origine d’Urras). Tout n’est pas, contrairement à ce qu’on peut le croire, tout blanc ou tout noir. Shevek, avant son départ sur Urras, a fait face à de nombreuses épreuves dans sa vie, notamment sa vie de famille, car le privé n’est pas ce qui est le plus important sur Anarres. Ursula Le Guin reste donc nuancée dans ce roman. Chronologiquement, j’ai compris que Les Dépossédés, bien que cinquième volet du Cycle de l’Ekumen, se situe bien avant tous les autres puisque l’ansible est évoqué comme projet futur. Ursula Le Guin glisse également une critique sur le monde de l’enseignement dans lequel les élèves sont surtout là pour obtenir des notes et un diplôme, plus que par amour de la discipline. C’est ce qui étonne en premier lieu Shevek sur Urras, chose qu’il n’arrive pas à comprendre, voir des étudiants là juste parce-qu’à la fin, ça ramène de l’argent car tel domaine est valorisé. Sur Anarres, il y a plus de possibilité de découvrir ses véritables envies, se connaître. J’arrête ici, étant donné que j’ai beaucoup de mal à restituer ce qui m’a passionnée dans ce roman… et je préfère finalement publier ceci que de le laisser éternellement en brouillon (ça fait bien un mois qu’il était là).

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