The Story of the Stone est la traduction anglaise de ce que nous connaissons ici sous le titre Le Rêve dans le Pavillon Rouge qui fait partie des grands classiques de la littérature chinoise, aux côtés de Fleur en Fiole d’Or, Le Voyage en Occident, Au bord de l’eau et Les Trois Royaumes. Petit aparté, malgré ce que disent toujours les mangaka dans les petits mots aux lecteurs, non, L’investiture des dieux ne fait pas partie de ces grands classiques littéraires chinois (du moins pour la Chine). Le titre figure malgré tout souvent dans les quatre grands romans chinois pour les Japonais, et cela est, à mon avis, dû au fait que la traduction japonaise de L’investiture des dieux fut un succès (mais je ne fais que supposer). Autre aparté, j’ai fait le choix de lire ce roman fleuve en anglais. Pour information, Le Rêve dans le Pavillon Rouge existe en français chez La Pléiade en 2 volumes et autant le dire, c’est onéreux et pas pratique à emporter dans les transports (le papier fin, le poids du livre, etc…). En anglais, le roman est traduit sous le titre The Story Of the Stone par David Hawkes chez Penguin Classic, en 5 volumes (environ 10€ l’unité).
Le Rêve dans le Pavillon Rouge est un roman fleuve chinois du 18ème siècle, sous la dynastie Qing. Il conte la vie quotidienne de la famille Jia, famille extrêmement riche et proche de l’Empereur au début de l’histoire et qui va décliner par la suite. Les Jia vivent dans une riche propriété comprenant deux grandes maisons: les Rong-Guo et les Ning-Guo, chacune descendant de ducs du même nom. La trame principale s’intéresse surtout à Jia Baoyu, jeune homme né avec un jade dans la bouche qui se trouve au milieu d’un triangle amoureux: d’un côté la belle et susceptible Lin Daiyu et de l’autre, son opposée Xue Baochai. Je précise de suite que ces deux jeunes filles sont les cousines de notre héros. En outre, s’ajoutent aussi diverses histoires d’amour ou de flirt avec certaines servantes de Bao-yu. Dans le premier volet qui comprend les 26 premiers chapitres (et environ 500 pages), j’ai surtout vu un peu de flirt, quelques scènes de jalousie mais surtout la description incroyablement soignée du quotidien d’une famille aristocrate (et toute sa maisonnée, le mot est faible) sous les Qing. Comme son titre l’indique, le premier volet s’intéresse à l’âge d’or de la famille Jia. David Hawkes décrit Le Rêve dans le Pavillon Rouge comme un équivalent chinois de La Recherche du temps perdu de Marcel Proust.
Un mystère entoure la paternité de cette oeuvre littéraire et son étude donne même naissance à ce que l’on nomme Rougeologie. L’introduction de David Hawkes qui se penche sur les choix de traduction et son amour pour Le Rêve dans le Pavillon Rouge s’étend également sur ces histoires d’auteurs. Pour résumer, Le Rêve dans le Pavillon Rouge a été écrit par Cao Xueqin qui s’inspire de sa vie réelle. Les Cao étaient une famille aristocrate très proche de l’Empereur qui a décliné suite à un vent politique peu favorable. Jusqu’à ses 13 ans, le jeune Xueqin aurait vécu une vie de satin comme son héros Baoyu, et a fini dans la pauvreté lorsqu’il a écrit ce roman. La légende voudrait que Xueqin se soit remémoré sa vie d’antan avec grand regret, la magnifiant sûrement. L’autre légende raconte que ce roman rend hommage aux différentes femmes entourant le quotidien du jeune Xueqin, femmes qui ont été supérieures moralement et physiquement à toutes les personnes qu’il n’ait jamais connues. Le roman fut diffusé au début aux proches de Cao Xueqin sous forme de manuscript, allant de mains en mains, avec anotations, avant de connaître diverses éditions pirates avec un succès grandissant. Sur les 120 chapitres que comptent le roman, Cao Xueqin en a rédigés 80. Le mystère entoure donc la suite, soit les 40 derniers chapitres, issus d’une personne différente. L’édition dite complète du roman comprend donc les 120 chapitres, édition attribuée à Gao E et Cheng Weiyuan.
Le Rêve dans le Pavillon Rouge a connu de nombreuses traductions plus ou moins reconnues, plus ou moins complètes. Mais il est clair qu’il s’agit d’un véritable défi, du fait de sa longueur, de ses références culturelles, mais aussi des nombreux poèmes, des figures de style de la littérature chinoise, des homophones (et ils sont nombreux) et de la langue incroyablement riche (enfin, moi je ne sais pas, j’ai déjà du mal à lire des… manga). Celle de David Hawkes est une des plus célèbres et des plus prisées. Son parti pris concerne déjà le choix du titre: alors que de nombreuses traductions ont opté pour le titre connu en Chine, Hong Lou Meng (紅樓夢), littéralement Le Rêve dans le Pavillon Rouge, David Hawkes choisit un autre des cinq titres connus du roman: Shitou ji, littéralement Les mémoires d’une pierre. Mais surtout, il adapte beaucoup et rend alors le roman bien plus accessible que du « très fidèlement traduit », ce qui attise donc encore aujourd’hui certains débats, l’exemple le plus fort étant celui de la couleur rouge, parfois remplacée par celle du vert, car culturellement plus anglais. Il y a aussi la décision de nommer les domestiques en traduisant la signification du nom directement en anglais (Caltrop, Aroma, etc…) sans expliquer en annexe (dommage), au lieu de garder le nom chinois. Ainsi, l’exemple le plus décrié étant Aroma soit Hua Xiren qui comporte un jeu de mot: attaquer les hommes. Il est aussi dommage que les noms chinois des personnages n’apparaissent pas dans le lexique.
Que ceux qui craignent la lecture de ce pavé n’aient crainte. En effet, alors que sa réputation en fait un objet de lecture inaccessible, il n’en est rien, du moins dans la traduction anglaise que j’ai lue. Après, pour des problèmes de langue inhérent à moi-même, j’ai eu du mal avec certaines descriptions de jardins un peu trop longues, des poèmes ou de joutes de poèmes entre les personnages. La narration de Cao Xueqin est incroyablement vivante et s’adresse directement au public dans le premier chapitre. D’ailleurs, cette introduction surprend car l’auteur de l’histoire n’est autre qu’une pierre se trouvant dans le domaine céleste. C’est donc avec un début fantastique, mystique, faisant appel au taoïsme et au bouddhisme que s’ouvre le roman fleuve. Par la suite, Cao Xueqin continue à mener son public en bateau: dans le domaine terrestre, il s’intéresse à un certain Jia Yucun qui ne fait pas partie de la famille Jia dont parle le roman, puis aussi à Yingliang, une enfant qui entrera plus tard dans la demeure des Jia sous le nom de Caltrop, en tant que servante des Xue (la famille de Baochai). Il faut attendre quelques chapitres pour enfin entrer dans la demeure des Jia, en compagnie de Lin Daiyu, un des personnages principaux de l’histoire. Lin Daiyu n’ayant plus de mère, et son père ayant du mal à faire son éducation, l’envoie dans la demeure des Jia (du côté de sa mère).
La traduction du roman est très fluide, ce qui le rend très facile à lire. Pour ma part, j’ai trouvé un anglais extrêmement joli, et David Hawkes, par sa plume, restitue bien le talent littéraire de Cao Xueqin. Les personnages sont très nombreux et les noms chinois, pas toujours faciles à retenir (on retrouve un Jia Lian et un Jia Lan). Heureusement, l’édition propose un arbre généalogique pour s’y retrouver (ah oui, qui est l’oncle, la tante ou l’enfant illégitime?) ainsi qu’un lexique expliquant très succintement chaque personnage rencontré. Et on en dénombre donc beaucoup, des dizaines et des dizaines, certains étant importants, d’autres ne paraissant que le temps de quelques chapitres. Toujours est-il que c’est un univers incroyablement foisonant. Personnellement, à voir ces personnages vivant de manière très luxueuse et surtout oisive, j’y vois comme une petite critique de cette famille aristocrate, dont le descendant principal de sexe masculin, Baoyu, est extrêmement gâté par son aïeule. Le faste y est juste étonnant, et les descriptions de chaque réception spectaculaires, que ce soit la moindre fête, ou au mieux, la visite d’une des filles de la maisonnée devenue concubine impériale. Si la famille est déjà dotée de nombreuses personnes, il faut aussi compter tout le personnel qui s’y accompagne, chaque personnage ayant au moins plusieurs serviteurs à son service, et cela s’accompagne avec ceux qui s’occupent de telle ou telle demeure. Il y aurait plusieurs centaines de domestiques travaillant chez les Jia.
L’intrigue principale, si elle concerne un triangle amoureux, n’est pas si évidente. En effet, Cao Xueqin conte avant tout la vie de toute la maisonnée, et les sous-intrigues sont donc très très très nombreuses. Que ce soit un cousin qui essaie de séduire unetelle, ou un oncle qui voudrait soutirer de l’argent aux riches Jia, ou les histoires entre les domestiques qu’il ne faut pas négliger. Chacun complote à qui mieux mieux dans cette maison, en premier lieu la cousine par alliance de Baoyu, Wang Xifeng, une championne parmi les championnes. La hiérarchie au sein de la famille s’illustre surtout à travers Baoyu, beaucoup trop gâté et jamais critiqué du fait qu’il est le préféré de sa grand-mère, la doyenne des Jia (et dieu sait que l’âge a une importance capitale en Chine). Le personnage de Baoyu, mais aussi d’autres personnages masculins de la famille Jia, préfigurent le déclin de celle-ci: Baoyu préfère les futilités comme la poésie au confucianisme et aucun des hommes de la génération précédente ne semble avoir le goût des responsabilités (et ceux qui l’ont, avec le sens des études, sont décédés…). Les femmes, en revanche, sont aussi belles qu’intelligentes.
Cao Xueqin, lors du chapitre 5, révèle le destin de chacune des douez beautés de Jinling, douze femmes entourant Baoyu. Sûrement dû au format du manuscript, il y a donc des incohérences, du fait que certaines ne meurent pas comme on le pense, ou de manière très rapide, obscure. C’est le cas de Qinshi, qui est censée se suicider, mais qui meurt très rapidement d’une maladie curieuse. L’interprétation des poèmes en annexe (et on en a bien besoin vu que Cao Xueqin s’exprime en symboles selon les noms chinois des protagonistes, ou en homophones, donnant lieu à des sortes de rébus) donne l’idée que Qinshi entretenait une laison avec son beau-père. Dans le roman, cela n’est jamais mentionné et j’ai même cru m’être trompée lors de ma lecture. Le fantastique, ou domaine céleste, n’est jamais en reste: par les rêves de Baoyu, mais encore cet épisode mystérieux du miroir qui touche un cousin qui a voulu s’approcher de Xifeng. Le moine taoïste et le moine bouddhiste reviennent de temps à autres, scandant des vers bien étranges. L’idée de la vie comme une illusion, idée bouddhiste (merci David Hawkes), est très prégnante dans le roman. Les rêves récurrents, la figure du miroir, ou encore la vie même au sein des Jia, tellement faste qu’elle ressemble à une illusion.
Si on devait me demander quelle est l’intrigue de ce premier volet, je dirais qu’il n’y en a pas vraiment. Baoyu est un personnage vu comme subversif à certaines époques: refusant de rester à sa place, il vit et ne fréquente que les femmes de la maison et n’aime pas le confucianisme qu’il préfère aux poèmes. En plus, certaines relations sont louches, on devine des hommes homosexuels. Les hommes n’apparaissent pas sous leur meilleur jour, pas vertueux pour un sou (diverses tromperies, notamment le mari de Xifeng). Enfin, la relation entre Baoyu et son père, Zheng, est très difficile, ce dernier ne réussissant pas à en faire un homme vertueux, parce que sa grand-mère le gâte beaucoup trop. A ce sujet, Hawkes y ajoute dans son introduction sans doute l’absence d’une figure paternelle dans la vie de Xueqin. Pour le moment, j’ai du mal à m’attacher aux personnages de Baochai et Daiyu: l’une parce que j’ai un peu de mal à la cerner, l’autre parce qu’elle est très susceptible: une ancêtre de la tsundere qu’on voit tant dans les anime! Le personnage de Aroma a en revanche une grande importance, et Xifeng est aussi très mise en avant. J’ai oublié de dire à quel point tout ce beau monde est vivant, il est impressionnant de voir autant de personnages de la plume d’une personne, dans un même roman!
Enfin, il est difficile de réellement situer le roman: à plusieurs reprises (et cela est confirmé dans l’introduction de Hawkes), je me suis demandée si les Jia vivaient à Nankin ou à Beijing, du fait du kang (une pierre chauffante qu’on trouve dans toutes les maisons de la Chine du Nord), mais on entend parler des Jia de Nankin. Enfin, l’âge des protagonistes m’a souvent paru obscur: quel âge ont Baoyu, Baochai et Daiyu? A un moment, Baochai fête ses 15 ans, mais tout cela reste brumeux. J’ai déjà beaucoup écrit, et ce n’est pas forcément très intéressant. Toujours est-il que je vous encourage vivement à lire ce roman, surtout dans sa version anglaise, très facile d’accès tout en gardant une grande beauté, et malgré les parti pris de Hawkes. Alors que l’intrigue est si difficile à définir, la lecture du Rêve dans le Pavillon Rouge est passionnante (la suite! la suite!). Pour ceux qui auraient vraiment la flemme, mais qui aimeraient quand même découvrir ce pan de la culture chinoise, il existe une série des années 80 dont on vante souvent la qualité.
En parlant d’homophones, il y a déjà le nom de famille Jia, qui se prononce comme « faux » en chinois. La famille Zhen, à laquelle les Jia sont liés par alliance, sonne comme « vrai ». Et que dire de Baoyu, qui préfigure l’enfant gâté: son nom signifie littéralement « jade précieux », du fait qu’il est né avec une pierre de jade dans la bouche. Quant à la minutie de la vie des Jia, elle va jusqu’à la composition de certains médicaments, de sorte qu’on se croirait chez l’apothicaire (et puis les noms de plante en latin quoi!!! Alors que ce sont des noms de plantes communément utilisés dans la langue chinoise…). Les descriptions de vêtements sont également très nombreuses, de la tête au pied, surtout pour Baoyu.
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