Grease Monkey est l’oeuvre d’un certain Tim Eldred, un homme ayant pas mal travaillé dans l’animation américaine, grand amateur de science fiction, en particulier de ce qui se passe dans l’espace (il apprécie Star Wars, Battlestar Galactica, et certains anime japonais). Dans son ouvrage, Eldred raconte la genèse de sa série, qui se déroule du début des années 90 aux années 2000. Pour résumer, comme certains autres de ses compagnons, Eldred a eu envie d’écrire autre chose que du super héros, ce qui était difficile dans les années 90. Il voulait écrire une comédie se déroulant dans l’espace, avec des êtres humains banals, et puis un gorille, tout cela sur fond de guerre (les humains dont on parle peu pendant une guerre: l’administration, les mécaniciens, etc…). Cela donna Grease Monkey, édité au début par Kitchen Press, ensuite par Image Comics, et puis enfin, en recueil chez Tor. Le recueil en question contient donc 350 pages environ, en noir et blanc (bien que les six premiers épisodes sont à l’origine en couleurs, épisodes qu’on peut trouver gratuitement ici). D’après l‘interview en ligne, et les bonus du recueil, une suite est prévue.
L’intrigue se déroule dans un futur lointain, dans lequel la Terre a été victime d’envahisseurs extra-terrestres. La Terre a été sauvée par une entité extra-terrestre pacifique appelée les Benefactors (Bienfaiteurs) mais les dégâts sont là: 60% de l’humanité a été décimée. Les Bienfaiteurs proposent alors à d’autres espèces terriennes de participer à une évolution rapide afin de faire jeu égal avec les homo sapiens: les dauphins ayant refusé (60% de pollution en moins dans leurs eaux, une aubaine!), la proposition est allée aux gorilles qui ont de suite accepté. Et voilà donc les Terriens engagés dans une guerre intergalactique contre les envahisseurs. Robin Plotnik, notre héros, est une jeune devant faire son service d’une année à bord du Fist of Earth (le Poing de la Terre) comme assistant mécanicien de Mac Gimbensky, un gorille au caractère pour le moins très personnel. Si au départ, Robin appréhende son affectation, il va s’avérer que Mac et lui vont devenir très rapidement inséparables. Mac et Robin sont les mécaniciens du meilleur escadron de pilotes exclusivement féminin dont la tête s’appelle Barbara: les Barbarians.
Voilà une excellente surprise, résultat d’un cadeau d’anniversaire pour mes trente ans. Il est vrai qu’avec un gorille anthropomorphe sur la couverture, cela ne pouvait que me plaire. Vu le passif de l’auteur de ce cadeau, je ne pouvais que rire quand j’ai vu le nom du héros: Robin. Le vaisseau spatial n’est ici qu’un prétexte pour Tim Eldred, un décor. Car l’histoire est réellement centrée sur la vie quotidienne des personnages, le tout de manière humoristique, abordant toute sorte de sujets: la fiction, la science fiction, l’histoire, les différences culturelles, le travail, le passage à l’âge adulte, les parents mais aussi les histoires de cœur, et même les élections. Le tout est porté par un duo, comme les buddy movies de Hollywood.
L’amour constitue un sujet qui revient fréquemment dans l’histoire: Robin est un adolescent plein de bonne volonté, gentil, mais un peu maladroit en amour, il aime une certaine Kara. Kara, elle, est une jeune femme indépendante, ayant du caractère, très intelligente, mais qui s’ennuie au plus haut point à la bibliothèque, endroit dans lequel son service civil lui a été affecté. Mac, le gorille et mentor de Robin, est un adulte ayant de l’expérience et ne voulant pas entrer dans un certain moule, il est amoureux de la plus belle femme gorille qu’il n’ait jamais vue, le colonel Stelter. Là, plus que la maladresse, c’est plus une question de timing qui fait que les amoureux ne peuvent se réunir, le colonel étant la personne la plus importante de cet immense vaisseau, ayant donc de lourdes responsabilités (et des collaborateurs pour le moins manches, il faut bien l’avouer). Les personnages sont tous stéréotypés mais superbement campés et donc terriblement attachants, chacun ayant ses qualités et ses défauts, chacun ayant sa petite histoire.

Les différences culturelles, ou plutôt l’aspect ethnique, est abordé du point de vue de Mac. Les gorilles du vaisseau ont une certaine vision des choses, qui ne cadre pas forcément avec celle des humains. Mac est là pour d’une part souligner les absurdités, parfois, des homo sapiens, mais aussi pour avoir sa vision de certains événements historiques, surtout que l’Histoire est bien souvent écrite par les humains. L’histoire d’un certain Ishmaël, premier gorille dont l’évolution a été accélérée, est souvent mise en doute par Mac. Cela renvoie donc aux événements de l’Histoire vus par des peuples, différente de celle par d’autres. Les fictions sont tout aussi abordées, et rappelle un certain Spike Lee, toujours prêt à contester la vision de réalisateurs « blancs » sur par exemple le jazz, ou la Seconde Guerre Mondiale (le dernier clash en date étant d’ailleurs au sujet de Django Unchained). En fait, ces différences culturelles renvoient surtout aux différents groupes ethniques qui peuplent les Etats-Unis. Mais malgré tout, beaucoup de choses réunissent gorilles et humains, et c’est là finalement, le plus important. Le racisme fait aussi face, certains groupuscules craignant que les gorilles retournent soudainement à leur état animal. Mais aussi, Eldred se moque de la langue de bois américaine, certains mots comme « Monkey » étant interdits pour désigner les gorilles par exemple.

Tout au long des 350 pages, on verra Robin grandir et évoluer, devenir petit à petit plus adulte, plus réaliste aussi, lui qui est naïf, plein de volonté, plein de gentillesse, mais qui ne connaît pas grand chose à la vie. C’est le type de personnage adorable et qu’on aime bien, malgré ses maladresses (mais quel boulet avec Kara!!!!), et qu’on a envie de suivre. L’histoire d’amour est d’ailleurs excellente, je pensais, vu le ton généralement positif et heureux de l’ouvrage, que Kara retournera forcément avec Robin à la fin de l’histoire. J’ai eu tort, Eldred ayant voulu finalement éduquer son héros pour l’endurcir un peu. La réalité est ainsi, et tout ne se passe pas comme prévu, les erreurs faisant partie de la vie.
Voilà donc un ouvrage absolument drôle, fun, bien écrit, avec un tas de personnages attachants et suffisamment stéréotypés mais pas trop. Y’a pas à dire, le capital sympathie est clairement là. Et puis, je le répète, il y a un gorille mécano. Et ça, c’est trop chouette! D’ailleurs, à cause de Grease Monkey (mais aussi à cause de Hellboy), ma curiosité à propos de Monkeyman & O’Brien a été ravivée… Voilà un ouvrage facilement trouvable à l’achat, pour vraiment pas cher, et que je conseille à ceux qui veulent lire une comédie bien fun, sur les relations humaines, dans l’espace. Côté graphisme, c’est très classique mais clair. Enfin, les personnages féminins ont tous du caractère, je n’ai pas trop croisé de pots de fleurs, et l’escadron champion est uniquement composé de femmes. Autre chronique: Comics Worth Reading. Parce que les œuvres de type comédie j’ai beaucoup de mal à en parler… Même avec un gorille anthropomorphe dedans.